Biographie Benard Rene
Ce couple eut aux alentours de 1658, une aventure conjugale qui vaut la peine d’être contée.
Vers 1656, l’Angevin René Besnard dit Bourjoly, caporal de la garnison de Montréal, courtise une jeune montréalaise du nom de Marie Pontonnier. Mais elle décide plutôt d’épouser Pierre Gadois, 25 ans, fils du premier colon de Montréal, un Percheron. Apprenant ce mariage, le malheureux soupirant court chez sa coquette amie pour lui apprendre qu’il est sorcier et qu’il va nouer l’aiguillette afin de rendre son prochain mariage stérile.
Le sortilège du « nouement de l’aiguillette » a survécu à travers les siècles. Nouer l’aiguillette (d’après un texte ancien) consiste ordinairement à « former trois nœuds à une bandelette, en récitant certaines formules magiques, sur un tombeau ou dans un lieu consacré ». Durant la cérémonie nuptiale, alors que les époux échangent les promesses traditionnelles, l’envouteur, qui se tient à l’écart, accomplit discrètement le rituel magique. Mais l’aiguillette se lie de bien d’autres manières. Selon Thiers, « il y avoit plus de cinquante sortes de noueurs d’aiguillette ». Peu importe la formule ou le cérémonial, ce qui compte, c’est de frapper la victime d’impuissance.
Le plus souvent. le noueur d’aiguillette récite, à rebours, un des versets du psaume Miserere mei Deus ; trace trois croix et fait autant de nœuds à une cordelette en prononçant, chaque fois, les paroles cabalistiques : Ribald, Nobal, Va-narbi. Puis, le noueur tourne les « mains en dehors et entrelacent ses doigts les uns dans les autres, en commençant par le petit doigt de la main gauche, et en continuant ainsi jusqu’à ce qu’un pouce touche à l’autre, et cela lorsque l’époux présente l’anneau à son épouse dans l’église ». Ou encore, au passage du cortège nuptial ou pendant la messe qui pré¬cède, le jeteur de sort, les mains dissimulées à l’intérieur de son chapeau, noue un bout de ficelle autant de fois qu’il désire que l’époux ou l’épouse ne puisse consommer le mariage. A Pamproux (Deux-Sèvres), le folkloriste Souché signale que, vers la fin du 19e siècle, on noue la courroie d’un soulier, puis on la jette ensuite dans une flaque d’eau. Si un passant ne dénoue pas la lanière, le mari envouté sera impuissant jusqu’à ce que la cordelette de cuir soit complètement pourrie.
Inversement, l’envouté dispose d’une vingtaine de moyens de se « défaire du sort » qu’on lui a jeté, comme porter sa chemise à l’envers, tenir une petite croix de bois à la main ou mettre une bague sous le pied de la conjointe. D’autres mesures préventives sont non moins pure fantaisie, telles frotter de graisse de loup la porte où habiteront les nouveaux époux, percer un tonneau et faire passer le premier vin qui en sort dans l’anneau de l’épouse ou simplement uriner dans le trou de la serrure de l’église où le mariage a été béni. Que ne ferait-on pas pour échapper à l’humiliant sortilège ?
En Nouvelle-France, des mariages peuvent être annulés pour cause de maléfices. Infailliblement, il s'agit du nouage d’aiguillette, ce qui empêche les nouveaux époux de consommer leur union. Connue des Anciens, la pratique est courante en France, dès le 16e siècle. Aussi sera-t-elle sévèrement condamnée par les synodes et conciles provinciaux, notamment ceux de Rouen en 1245 ; d'Autun en 1503 ; de Périgueux en 1536 ; de Melun en 1579 ; de Chartres en 1580 ; de Narbonne en 1609 ; de Saint-Malo en 1620. Plus tard, vers 1741, un docteur en théologie considère le liage de l’aiguillette comme « une méchanceté damnable, une action diabolique, un crime énorme et capital ». Le sortilège n’échappe pas non plus à la rigueur des lois civiles. Pour Bodin, « de toutes les ordures de la magie, il n'y a point de plus fréquentes par tout, ni de guerres plus pernicieuses, qu'à l'empêchement qu’on donne à ceux qui se marient, qu’on appelle lier l'aiguillette ».
En Nouvelle-France, cette coutume sera pratiquée au moins en une occasion par un soupirant éconduit, en l’occurrence le Montréalais René Besnard. Remontons aux sources de l’histoire.
Le 22 janvier 1643, la cloche de Lude, patelin du diocèse d’Angers, en Anjou, sonne à toute volée pour annoncer le baptême de Marie, fille d’Urbain Pontonnier et de Felice Jamin. Elle y vivra jusqu’à l’âge de 13 ans, alors qu’elle traverse l’Atlantique et gagne Montréal, où elle est la protégée de Jeanne Mance, administratrice de l’hôpital Hôtel-Dieu de Montréal. A vrai dire, la jeune immigrée n’est encore qu’une fillette. Mais en Nouvelle-France, homme et femme doivent défier le temps. La guérilla franco-amérindienne, l’exploration et la traite des fourrures réclament sans cesse plus de monde. Aussi, est-il de bon aloi de se marier jeune et de remplir les berceaux.
Soumise aux mêmes impératifs que les autres, la jeune Pontonnier est d’abord courtisée par René Besnard dit Bourjoly, originaire de la paroisse de « Villiers Aubouin, pays d’Anjou ». Frisant la trentaine, ce René Besnard, qui est le fils de Jean et de Madeleine Maillard, exerçait la profes¬sion de négociant en France avant de devenir caporal de la garnison de Montréal. Rappelons que les familles Pontonnier et Besnard sont d’origine angevine. Mais cette patrie commune ne favorisera pas un rapprochement entre les amoureux puisque Marie accorde subitement ses faveurs à l’armurier Pierre Gadois, de quelque cinq ans son ainé, fils de Pierre Gadois et de Louise Mauger,
Que mijotera Besnard pour faire échec à ces épousailles prochaines ? Rien d’autre que de se rendre chez son ancienne flamme pour lui annoncer qu’il est sorcier. De cette révélation aux menaces, il n’y a qu’un pas que Besnard franchit vitement. Grâce aux pouvoirs diaboliques dont il dis¬pose, l’union projetée par Marie restera stérile. La pauvre fille, toute affolée, avertit aussitôt son fiancé et son curé de la vengeance qui la guette. Malgré cette surprenante révélation, le mariage de Pierre Gadois et de Marie Pontonnier est béni à Montréal, le 12 août 1657. Le Tout-Montréal assiste à ces accordailles. Mentionnons Barbe de Boulogne, épouse de Louis d'Ailleboust, seigneur de Coulonge et lieutenant général au pays ; Jeanne Mance, administratrice de l’Hôtel-Dieu, et Lam¬bert Closse, commandant de l’ile.
Pour échapper au maléfice, un ami a conseillé à Gadois de réciter le psaume Miserere, en latin et à l’inverse, pendant qu’il recevra la bénédiction nuptiale. En pareille circonstance, l’étrange procédé est couramment utilisé en France. Ici, les résultats sont décevants. Malgré les louables efforts du conjoint pour prononcer convenablement la prière, le ber familial reste au grenier.
L’inquiétude des époux grandit avec les jours. Après de bons mois, ils vont se confier à leur curé qui les exhorte à se rendre à Québec pour y recevoir, une seconde fois, la bénédiction nuptiale. Mais après ce long voyage, la vie se poursuit, toujours aussi décevante. Malgré d’actives recherches, Pierre Gadois ne réussit pas à trouver la clé des trésors de la jeune Marie.
La suite semble donner raison au rival. Accusé de maléfice, Besnard comparait devant la justice seigneuriale de Montréal, le 2 novembre 1658. La cause passionne l’opinion publique. Des témoins accablent le suspect de sorcellerie et de maléfices. Sur ces dires, le gouverneur de Maisonneuve somme le prévenu, alors âgé de 31 ans de se présenter devant le tribunal « pour respondre sur les faits et charges, contenues aux plaintes faictes à l’encontre de luy par Pierre Gadois armurier et Marie Pontonnier, sa femme; Jeanne Godard, femme de Simon Le Roy et Marie (Bidard) femme d’Honoré Dausny, pour les avoir sollicitées et attenté à leur honneur ».
Cette pro¬cédure accomplie on passe à l’interrogatoire. L’inculpé semble n’avoir de mémoire que pour les faits et choses qui font son affaire. S’il se souvient d’avoir parlé à Marie Pontonnier, « le jour des noces du nommé La Ver¬dure », il ne se rappelle pas de ce qu’il lui a dit. Incidemment, il s’agit des épousailles de Jean Valiquet dit Laverdure et de Renée Lopp, célébrées à Montréal, le 23 novembre 1658.
Le procès prête à de singulières révélations. Pour échapper au sortilège, la femme Pontonnier aurait accepté de devenir la maitresse de son ancien soupirant.
L’interrogateur multiplie les questions. Besnard a-t-il vu la Pontonnier depuis l’aventure qu’on pensait? Oui, puisqu’il l’aurait rencontrée chez elle, « le mercredy de devant la St. Luc ». Comme cette célébration tombe le 18 octobre, le deuxième rendez-vous remonte à une quinzaine de jours. Cette fois-là, la femme Pontonnier demande au déposant « s’il ne se souvenoit pas, de ce qu’il luy avoit dit le jour des noces de Laverdure ». Sur réponse négative, elle s’informe « S’il ne savoit pas qui avoit mis empeschement à leur mariage ». Besnard n’en saurait rien.
Mais les questions se font plus précises. À un certain moment, l’officier de justice demande carrément au témoin « s’il n’avoit pas sollicité ladite Pontonnier à forfaire à son honneur ». Besnard commence d’abord par nier le fait pour ensuite admettre « qu’il luy a dit (à la Pontonnier) que si elle vouloit qu’il eust jouissance d’elle, que ça feroit qu’elle auroit jouissance avec son mary ». Sous l’épouvantail d’un pseudo-pouvoir magique, Besnard tente de s’attirer à nouveau les faveurs de son ancienne flamme. Des questions plus indiscrètes feront suite à cette singulière proposition. Comme, par exemple, si Besnard et la Pontonnier n’ont pas convenu d’un rendez-vous en l’absence du mari. Nouvelle négation de la part de l’accusé qui prétend, à la fin, que la Pontonnier voulait plutôt l’attirer chez elle. Besnard aurait dé¬cliné cette galante invitation, prétextant que semblables rela¬tions n'échapperaient pas aux habitants, toujours friands de ce genre de nouvelles. Mais la Pontonnier ne se formalise pas des racontars ; elle demande à notre homme de passer la voir à son logis durant la grand’messe célébrée le 20 octobre, jour de la fête de Saint Luc. Néanmoins, Besnard aurait négligé de s’y rendre par la suite.
Poursuivons le questionnaire. Besnard a-t-il revu la Pon¬tonnier? Oui, dès le lendemain de la rencontre précitée, alors qu'il allait de son logis au jardin du sieur Le Moyne. La Pontonnier lui aurait demandé d’expliquer son absence de la veille. Comme d'habitude, Besnard craignait les mauvaises langues. Marie, qui ne s’en fait pas pour si peu, insiste pour que son ancien amant passe chez elle, cette fois le len¬demain dimanche, durant la messe dominicale.
Devant des invitations aussi pressantes que répétées, Bes¬nard accepte d’aller chez Marie Pontonnier avec « dessein d’avoir jouissance d’elle ». Dernière précaution : le galant s’enquiert si sa future maitresse sera bien seule. Question qui suggère une autre requête. « Me desnouerez-vous l’esguillette, s’enquiert-elle, si je vous donne jouissance de moy ». Et Besnard de répliquer « me prenez vous pour un sorcier? ». L’enquêteur voudrait bien savoir si le prévenu n’a pas déclaré à la Pontonnier « qu’il savoit bien, qui avoit noué l’esguillette à son mary ». Mais Besnard ne se rappellerait de rien.
Aussi prudent qu’avisé, notre homme ne se souvient que ce qu’il veut bien. Si son ancienne flamme lui a suggéré d’avoir des relations charnelles avec lui dans le but de dénouer l’aiguillette, il ne saurait préciser, ni « s’il ne luy a pas promis de lever l’empeschement de desnouer l’es¬guillette ». Enfin, il n’a appris l’échec de son rival que par Marie « elle même, et bruit publicq ».
Besnard ne raconte pas la même chose à tout le monde. À Françoise Besnard, femme de Marin Janot dit Lachapelle, qui n’a aucun lien de parenté avec lui malgré un même nom, il a bien parlé que « l’esmpeschement susdit (l’impuissance du mari de la Pontonnier) pourroit durer dix-sept ans, et si elle ne luy avoit pas demandé si ce n’estoit pas luy qui l’avoit nouée (l’aiguillette) »
L’interrogatoire se poursuit pour savoir si Besnard s’est informé du mariage de Marie Bidard et d'Honoré Dausny dit Tourangeau? Ou encore, quand on lui apprend que tout va bien de ce coté, s'il n'a pas répliqué « ne vous resjouissez pas trop ». Besnard se défend bien d'avoir prononcé ces propos. Néanmoins, il admet « qu’estant ensanble chez Messire Gilber Barbier, dit Minisme, la femme dudit Minisme auroit dit Nous sommes tous affligez d’autant que voilà de jeunes gens (Besnard et la Pontonnier) qui n’ont point de contentement ensemble ». En terminant, Besnard précise que ces racontars sont ordinairement à l’origine des esclandres de village. Par exemple, « qu’il en estoit bien marry, et adjouta qu’il alloit dire à lad Marie Bidard ce qui s’estoit passé entre elle et son mary, d’autant qu’il l’avoit appris du nommé Laverdure, à qui le dit Touranjo l’avoit dit, mais, qui n’avoit jamais dit à lad Bidard ny à son mary, qu’ils ne se resjouissent pas trop, et qu’eux ne luy avoient point parlé que leur mariage allast mieux ».
A l’époque, d'aucuns ne sont jamais à court d’astuce ou d’esprit. Pour se disculper du crime dont on l’accuse, Besnard va se livrer à un jeu de mot digne de l’imagination la plus fertile. Tant de tergiversations impatientent le tribunal qui veut finalement savoir si Besnard s’est bel et bien servi d’un pouvoir magique dans le cas de Marie Pontonnier. Bref « s’il ne s’est pas venté, de savoir nouer l’esguillette, et s’il n’a pas dit à lad Pontonnier, qu’il savoit bien, qu’il luy avoit noué ». Acculé contre le mur, l’accusé va recourir à toute sa débrouillardise pour s’en tirer à meilleur compte. S'il a tenu pareil langage, dit-il, « S’estoit pour la faire condescendre à son dessein, et de ce qu’il s’estoit venté, de savoir nouer l’esguillette, qu’il entendoit l’esguillette de ses chausses ». Le tribunal n’est pas dupe d’une explication si simpliste. Sur l’ordre du gouverneur de Maisonneuve, l’inculpé est immédiatement mené au cachot. Convaincu d’avoir frôlé de trop près Marie Pontonier, épouse de Pierre Gadois, Besnard fut condamné à une amende de 300 livres, par un jugement du 4 novembre 1658.
Par la suite, le 31 août 1660, après les trois années requises par les sacrés Canons suite à la célébration du mariage, Mgr de Laval déclara nul et invalide le mariage de Pierre Gadois et Marie Pontonier « à cause d’impuissance perpétuelle causée par maléfice obstruant l’orifice, et permit aux partyes de se marier ».
Pour obtenir compensation contre son ancien mari, Marie Pontonnier va voir le gouverneur de Maisonneuve qui, le 13 septembre 1660, signe l’arrêt suivant au fort de Ville-Marie « Nous ordonnons que pour toutes les prétentions que lad Pontonnier peut avoir à l’encontre dudit Gadoys, luy rendra dans vingt quatre heures ses habits et hordes servans à sa personne et en plus lui payera la somme de quatre cens livres en castor, bled et argent au prix du pays, savoir cent livres au jour de Saint-Michel prochain et trois cens livres au jour de Noel prochain ». Quatre cents livres représentent une petite fortune à l’époque.
Deux mois plus tard, le 3 novembre 1660, Marie Pontonier s’unissait à Pierre Martin, récemment arrivé de France. Plus heureux que son prédécesseur, Pierre Martin trouva en un rien de temps la clé qu’il fallait. Et Marie Pontonier devint la mère d’une autre petite Marie qui devait épouser en 1685, Antoine Villedieu. Par malheur, Pierre Martin fut tué par les Iroquois, le 23 mars 1661, avant même d’avoir vu naître sa fille, et Marie Pontonier devint veuve ( ?) une seconde fois.
Encouragée par le succès éphémère qu’avait eu Pierre Martin, Marie Pontonnier épousa en troisième noces, le 5 décembre 1661, Honoré Langlois, dit Lachapelle qui lui donna 10 enfants. Elle mourut à Pointe-aux-Trembles à l’âge de 81 ans.
Pierre Gadois attendit jusqu’à l’âge de 33 ans pour se remarier, le 20 avril 1665, à Jeanne Besnard, 23 ans, une cousine de René Besnard, dont il eut 14 enfants.
Que le caporal René Besnard s’estime tout de même chanceux de s’en tirer à pareil compte, surtout si l’on songe aux peines que l’on inflige en France aux coupables de tels délits. Dans le présent cas, le tribunal va bannir Besnard de Montréal, malgré que celui-ci prétende « n’avoir fait que plaisanter pour effrayer Gadois ». Le proscrit ira s’établir à Trois-Rivières où, le 2 février 1661, il épouse Marie Cedilot, veuve de Bertrand Fafard dit Laframboise et fille de Louis et de Marie Charier, originaires de Montreuil en Picardie. Le couple aura 6 enfants. Désormais, Besnard mène une vie rangée et personne ne l’associe plus à la moindre pratique occulte.
Source : Séguin Robert-Lionel « La vie libertine en Nouvelle-France au 17ème siècle » Leméac, 1972.
(Pierre Lalonde)
procès-verbal, en date du 4 08 1692, http://pistard.banq.qc.ca/unite_chercheurs/description_fonds?p_anqsid=201704131345132437&p_centre=04T&p_classe=TL&p_fonds=3&p_numunide=753408 il est indiqué que les «défunts époux» auraient pris une obligation envers Pierre le Boullanger, devant le notaire Cusson en date du 18 04 1689
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