Biographie Dubois Therese
Souvenir d’enfance de Thérèse Dubois fille de Flore et Hormisdas Dubois
A 72 ans, les souvenirs les plus lointains
Je devais avoir quatre ans, mon père me ramenait de chez nos voisins Eléodore Fredette et sa femme Blanche Lavoie. En arrivant à la maison, on me présente mon nouveau petit frère. Comme il était beau! Tout rose. C'était Armand le tout dernier, né le 15 juin 1928. Il est quasi aussi beau aujourd'hui. A la naissance des enfants, on se faisait garder par nos voisins. C'était un échange de bon voisinage, parce que quelquefois ça se présentait en pleine nuit. A Albanel, Camilla Lamontagne était la sage femme qui accouchait les femmes dans le rang. Un autre événement, malheureux celui-là, s'est produit un an après la naissance de mon dernier petit frère. Je dis un an parce que nous avons environ un an et demi à 2 ans entre chaque enfant et que le seul moyen d'empêcher la famille était d'allaiter les enfants le plus longtemps possible. Ma mère était couchée sur le lit dans le coin de la maison et très malade. Le médecin demeurait à environ une quarantaine de milles de chez-nous. Il fallait aller le chercher et le reconduire en boghei. C'était un pensez-y bien qu'une telle aventure.
Mais à Albanel, si les gens avaient besoin d'aide médicale, psychologique ou s'ils avaient de graves décisions à prendre, ils allaient consulter le curé, en l'occurrence Adjutor Tremblay. Il était venu à la maison et en voyant ma mère très malade, très faible, les mains et les pieds commençant à bleuir, il a conseillé de la conduire à l'hôpital. Mon père est allé emprunter l'auto de notre cousin Rosaire Parent qui demeurait à trois milles de chez nous. Après tous ces retards, aller et retour du village, l'auto est finalement arrivée. On a déposé un lit de plume sur le siège arrière. L'auto de 1930 était très étroite, le lit n'était pas tellement confortable et la route de terre très cahoteuse et ma mère était mourante. En arrivant à l'hôpital, elle a été opérée d'urgence pour l'appendicite et elle a perdu le fœtus de trois mois qui aurait pu être le 14e enfant de la dynastie des Dubois. Ma sœur Cécile qui avait soin de la maisonnée m'avait taillé et cousu une belle petite robe verte garnie de frills roses et mon père m'avait amené visiter ma mère à l'hôpital. Je devais être privilégiée ou la plus tannante ou encore la plus agitée ...
Quel émerveillement, à 5 ans, de prendre le train, de voir un hôpital, de voir des sœurs semi cloîtrées prodiguer les soins hospitaliers. Comme cadeau à ma mère, nous avions apporté des Klondye (Kiss). Je voyais ça et mangeait ça pour la première fois. Je disais que ma mère était couchée dans un lit dans le coin de la cuisine.
Notre maison était petite. Elle devait mesurer au maximum pieds par pieds. Elle possédait un deuxième étage dans un toit à pignon et une cave de terre de 21/2 à 3 pieds de profond, tout juste pour garder nos patates durant l'hiver. Notre premier plancher n'était pas séparé par de cloisons de bois, seulement des rideaux autour du lit de nos parents, le reste était pour la grande table de bois, toutes les chaises, un huche à pain, un poêle à deux ponts et un semblant d'évier. Nous avions l'eau à la maison mais les toilettes étaient dans l'étable pour le jour et la chaudière pour la nuit. L'escalier menant au 2e étage enlevait encore de l'espace dans la maison. Enfin, dans le haut de la maison, les filles avaient un lit entouré de rideau et le reste de l'espace était occupé par les garçons.
Comme les toilettes étaient à l'étable le jour, une bonne fois, Armand, qui devait avoir trois ou quatre ans, était installé dans une allée, les culottes baissées en train de faire ses besoins. Il a dû déranger le coq qui ne l'a pas pris. Il lui a sauté sur le dos lui picossant les fesses. Il est rentré à la maison en pleurant, les culottes à la main. Il était le seul à ne pas rire.
Un autre incident nous a aussi fait bien rire. Léo était allé vider la fameuse chaudière en arrière du hangar dans une espèce de dump. En s'élançant pour la vider, les deux pieds lui ont glissé et il est tombé assis dans les déchets. Imaginez le retour à la maison tout dégoulinant. Maman avait la job de tout nettoyé, une autre occasion de se taquiner.
Un jour ma mère faisait son lavage dans notre machine à laver, genre de berceau avec des planches en travers en dedans pour mieux nous aider à nettoyer le linge. La journée du lavage, ma mère faisait bouillir de grandes marmites d'eau sur le poêle à deux ponts. Elle ajoutait du Lecy dans l'eau pour blanchir le linge; l'eau de Javel n'existait pas dans le temps. Au moment de transporter l'eau dans la machine à laver, elle s'est renversé l'eau bouillante sur le pied. Elle portait des bas de laine et des running lacées jusqu'à la cheville. Le temps de délacer la chaussure, le liquide a eu le temps de pénétrer jusqu'à l'os. La peau venait avec le bas; maman souffrait le martyr. Il ne fallait pas penser au médecin demeurant à 40 milles de la maison. Mon père est allé chercher le curé. C'était ce qui se faisait à l'époque. Le presbytère était à trois milles de la maison. En arrivant, le curé a enlevé le feu par la prière et l'imposition des mains. Il a recommandé d'appliquer de l'huile d'oie avec une plume d'oiseau, le seul remède à l'époque. Les antibiotiques n'ont été inventés que beaucoup plus tard. J'étais très jeune et maman a dû souffrir le martyr, entourée de la gang de petits qui ne cessaient de quémander. Au bout d'une couple de semaines, ma mère a pu recommencer à marcher, la plaie se cicatrisant petit à petit. Le bon Dieu a eu pitié d'une mère de famille avec de jeunes enfants. Nous avions grandement besoin d'elle.
Mon grand père paternel habitait St-Didace. Il s'était marié trois fois. Sa première épouse est décédée durant la première ou la deuxième année de mariage sans laisser d'enfants. Sa deuxième épouse, la mère de mon père, est décédée aussi. Mon grand père a alors convolé en juste noce une troisième fois et ils ont eu une fille nommée Clara qui a épousé mon oncle Télesphore. La belle mère voulait donner la terre à sa fille.
A cette époque, mon père était marié à Flore Aubin et ils avaient déjà 7 enfants. Ils habitaient avec le père et la belle-mère et mon père travaillait la terre avec son père. Acculé au pied du mur et sans argent, mon père décide de déménager à Albanel. Il achète une petite terre, un demi-lot. Ce n'était pas assez grand pour faire vivre une famille comptant déjà sept enfants et à laquelle s'en ajouteraient six autres au cours des années suivantes. "Il faut faire avec ce que l'on a", disait mon père. Très courageux, le père. Ils sont déménagés en 1921.
Mon père comptait déjà un frère à Albanel. Ainsi, il se sentait moins orphelin. Ma mère était de nouveau enceinte de son 8e enfant et un mois avant l'accouchement, un autre de mes petits frères, nommé Alphonse, commence à se plaindre de maux de ventre. Dans le temps, la flanelle chaude était recommandée pour le mal de ventre. De fait, après quelques heures, il avait moins mal. Cependant, il est décédé tout doucement le 9 juin 1921. Ce qu'on appelait à l'époque "coliques cordées" n'était en fait que l'appendicite, qu'on soigne aujourd'hui avec du froid et non de la chaleur. Le 8 juillet 1921, le nouveau Alphonse est venu au monde.
La liste d'enfants s'est allongée par la suite: un couple de jumeaux, Gérard et Léo, une fille Thérèse, mes parents étaient contents de voir arriver une fille. Après, ce fut Rosaire le tannant et Armand le beau bébé rose, le seul dont je me souviens à sa naissance. Nous étions 13 enfants: 1 décédé vers l'âge de 7 ans, 2 couples de jumeaux, un garçon, une fille et deux garçons. Nous étions comme deux familles, les plus vieux au travail et les plus jeunes à l'école située à un mille de la maison. Ce n'était pas chaud l'hiver de marcher dans la poudrerie.
Mon père gagnait notre vie en allant au chantier couper du bois. Il trimait d'octobre à avril pour $26.00 par mois. Par soucis d'économie, il ne descendait pas toujours au temps des Fêtes. Plus tard, mes frères Camille et Paul montaient au chantier avec lui. Omer et Arthur travaillaient chez des habitants du voisinage. Ils donnaient à manger aux animaux pour la nourriture et quelques dollars par semaine. Cécile et Lucienne travaillaient chez des dames riches de Dolbeau pour le gîte et quelques dollars. En l'absence de papa, maman soignait les animaux et trayait les vaches, aidée par les plus vieux au retour de l'école. De cette façon, on arrivait à vivre. Nous avions nos œufs, nos légumes: patates, carottes, choux. Avant de partir pour les chantiers, papa avait acheté de la cassonade et de la mélasse. Nous étions alors en mesure de passer l'hiver. La famille solidaire et on était heureux.
Nous avions un voisin, la 4e maison de chez nous, Adalbert Lavoie, une famille de 10 enfants, toutes des filles. Monsieur n'allait pas au chantier, couper du bois. Il ne voulait pas laisser sa femme pour tout l'hiver. Il avait dit à mon père: "J'aime trop ma femme, pour la laisser toute seule tout l'hiver". Il préférait se coller les fesses sur elle et priver sa famille de nourriture. Heureusement, des voisins lui donnaient de la nourriture pour manger avec ses légumes. Pas trop travaillant, notre Adalbert.
Les gens cultivaient les céréales, la nourriture pour les animaux et quelques légumes pour eux. Mon père a implanté la culture du Sarrazin, des navets pour nous, pour les vaches et les cochons, la culture de la carotte, du chou et de la gourgane. Il était un innovateur. Nous faisions notre savon de pays, notre boucherie et ma mère faisait du boudin. Au temps de la boucherie, nous les plus jeunes allions nous cacher pour ne pas entendre les cochons pleurer.
De chez-nous jusqu'au bout du rang, nous avions les voisins suivants: en face, Albert Potvin (Albert Péteux), marié à Ida Lavoie. Notre Albert paraissait le double de son âge. Ils ont eu un garçon qui n'avait pas de cheveux, comme son père. Le voisin suivant était Eléodore Fredette et Blanche Lavoie avec 4 enfants: Rolande, Emilien, Roland et Béatrice. L'autre voisin était Léo Vincent marié à une fille de Montréal. Ils ont eu un enfant. Puis venait Georges Boissonneault avec ses trois filles dont Cécile et Yvette. Puis Achille Lamontagne et Camilla Lavoie, la sage femme et leurs enfants: Donat, Alyre, Albery. Il y avait ensuite les Vaillancourt et enfin les Desaliers.
Armand était trop jeune pour fréquenter l'école. Nous étions 5 enfants à aller à l'école du rang: Alphonse, Léo, Gérard, Thérèse et Rosaire. Nous étions près de la fin de l'année. Il y avait toujours une fête et M. le Curé venait pour la distribution des prix. Nous étions tous allés chercher des arbres dans l'Afrique (comme nous l'appelions) pour faire une haie du chemin à la porte de l'école. L'Afrique était une véritable dump de verre brisé et nous étions tous nu-pieds. Et moi, la chanceuse, j'ai mis le pied sur un tronçon de bouteille, me coupant profondément le dessous du gros orteil, les deux suivantes, les nerfs et les veines. Le sang pissait comme une pompe. Alarmé, le voisin, M. Désaliers est venu et m'a dit de ne pas avoir peur et qu'il arrêterait le sang. Il a mis sur mes plaies 3 c. à soupe de farine et m'a bandé le pied. Ça m'a pris une semaine de nettoyer toute la farine; ça jouait un peu le rôle de points de suture. Le lendemain, j'ai pu assister de peine et de misère à la fête de la fin de l'année et à celle du curé. J'ai passé les deux mois de vacances la jambe pliée en arrière et retenue par une ceinture. Je sautais sur une patte. Nous n'avions pas encore revendiqué congé de tempête de neige, de classe de neige ou de classe verte. C'était l'hiver, nous revenions de l'école. Il faisait très froid et nous nous sommes arrêtés chez M. Lamontagne. Albery, mon chum, nous a invités. Il n'y avait personne à la maison. Il nous a offert de nous prendre de la cassonade à même le sac de 100 livres et avec nos mains. En nous léchant les doigts, ça nous a fait une espèce de sirop et en sortant au froid nos mains ont gelé. En arrivant à la maison, les mains dégelaient et ça faisait mal et on pleurait. Nous n'avons jamais dit ce que nous avions fait pour nous geler les mains.
L'hiver était long et froid. Il commençait de bonne heure à l'automne et durait jusqu'à la fin de mai. Ici, on se plaint que l'été ne dure que 3 jours. A Albanel, c'était encore plus court, ah, ah. On faisait nos devoirs et apprenait nos leçons, éclairés d'une lampe à l'huile au milieu de la table. Ma mère, un peu plus loin, tricotait bas et chandails pour les hommes au chantier et pour nous autres à l'école. Elle pouvait tricoter les yeux fermés, tellement elle a tricoté dans sa vie. Même mes frères Arthur, Gérard et Alphonse tricotaient des bas. Ils étaient presque aussi rapides que ma mère. Nous trouvions la vie belle, sans soucis comme le sont les enfants. Nous étions heureux, il ne nous en fallait pas beaucoup.
A la petite école du rang, il y avait la 1ère, la 2éme et la 3éme année dans la même classe, la seule dans la petite école. La maîtresse avait de l'ouvrage sur la planche; elle habitait seule à l'école pendant l'année scolaire. Ses parents venaient la chercher pour la période des fêtes et ensuite aux grandes vacances d'été. Pendant les vacances, nous les jeunes, nous aidions à planter les légumes, à les sarcler et ensuite à les ramasser pour les mettre dans le caveau. Les carottes, les navets et les choux allaient dans le caveau et les patates dans la cave. Comme la cave était sur la terre, le printemps venu, plusieurs étaient déjà pourries. Si la saison d'été était trop froide, la cueillette des bleuets étaient retardée. Normalement, elle avait lieu du 15 août au 1er ou 7 septembre. Dans ce dernier cas, nous manquions une semaine d'école. Les bleuets étaient une autre source de revenu pour la famille. Mon père et mes frères les plus vieux avaient construit un camp en bois rond sur un lot non défriché. C'était notre logis durant la saison des bleuets. Les journées étaient longues; elles commençaient à 7 heures du matin et se terminaient à 4 12. Les premiers jours, nous en mangions autant que nous en cueillions; un bleuet dans la chaudière, un dans le ventre. Le soir, nous n'avions plus faim. Même étant enfants, les premiers jours, nous avions mal aux reins. Nous nous couchions sur le dos sur des arbres morts. C'était le bon temps pour nous les enfants. Notre vie était parsemée de petits bonheurs. Nous n'avions pas à penser à avoir assez d'argent pour manger tout l'hiver.
A l'automne, c'était le retour à l'école pour les jeunes. Mon père et mes deux frères les plus vieux, Camil et Paul, montaient au chantier, couper du bois. Ils devaient marcher une couple de jours à travers bois avec sur le dos leur bagage pour l'hiver. S'ils étaient chanceux, ils pouvaient trouver quelqu'un qui si se rendait au chantier avec un "teem" de chevaux. Ils pouvaient alors coucher à un campement, se réchauffer et manger chaud. N'ayant pas les vêtements légers et chauds d'aujourd'hui, ils étaient obligés de s'isoler les fesses et les parties avec des journaux. Un monsieur s'était déjà gelé les bijoux de famille, selon mon père c'était très souffrant. Arrivés au chantier, s'ils étaient engagés, ils bâtissaient leur lit avec des branches de sapin comme paillasse. Malgré le sapinage, ça n'éloignait pas les poux qui se promenaient de tête à tête, de corps à corps: ça leur faisait quelque chose à se désennuyer. Et la nourriture: soupe aux pois et fèves au lard avec lard salé. Le "cook" faisait geler la nourriture dans des poches en poches. Au besoin, il coupait ça avec une hache. Imaginons les poils dans la soupe et dans les beans. Leurs loisirs - Ils jouaient aux cartes et au lieu de l'argent, ils utilisaient des allumettes de bois. Mon père rapportait beaucoup d'allumettes quand mes frères ne les perdaient pas à mesure en jouant. Imaginez la fête à leur retour.
Un printemps, en revenant du chantier, Paul est allé à la drave. Ça consistait à faire descendre le bois coupé sur les rivières au lieu de le transporter par terre. C'était un métier dangereux; il y avait un bon Dieu pour la famille Dubois. Quand il y avait un embâcle les hommes étaient obligés de monter sur les billots sur l'eau et essayer de défaire l'embâcle. Quelques hommes ont déjà pris une plonge dans glacée et y ont laissé leur vie.
Ma sœur Cécile est entrée chez les Sœurs semi cloîtrées à l'hôpital de Roberval et au bout de 6 mois, elle a prononcé ses voeux temporaires. Mes parents nous avaient raconté que les sœurs l’avaient habillé en mariée en blanc avec voile. Elle est alors venue saluer mes parents puis elle est retournée s'habiller en religieuse et elle est revenue au parloir derrière un grillage. Mes parents ont été très impressionnés. Heureusement, elle est sortie avant de prononcer ses vœux perpétuels à cause de maux de tête qu'elle avait toujours au moment de la méditation et Dieu sait s'il y en avait souvent. Raoul Guay a fréquenté Cécile et ils se sont mariés le 19 avril 1933 en l'église Ste-Lucie d’Albanel. Dans ce temps-là, on se déplaçait en bogheis. Les invités sont venus pour le souper à la maison et il y a eu danse dans la soirée. Pendant le souper, une de nos vaches décide de vêler. Mon père a laissé le souper pour aller l'aider. Ça n'allait pas bien. Il a été obligé de strapper la vache; tout voulait sortir après l'arrivée du veau. Il y avait du danger de perdre la vache. C'était précieux une vache et mon père ne pouvait se permettre d'en perdre une.
Cécile a eu sa première fille Lucie le 9 janvier 1934. Lorsqu'elle était enceinte de 5 ou 6 mois, elle est venue passer quelques jours à la maison. Je ne veux pas être langue sale, mais, ayant toujours été fouineuse, j'ai entendu dire entre les branches que Raoul avait envoyé Cécile pour se faire dire par papa que les humains n'étaient pas comme les animaux, qu'une fois suffit et dès qu'ils attendent leurs petits, ils ne veulent plus du mâle. Je crois qu'elle a appris vite car ils ont eu une belle famille de onze enfants. Je devais avoir 7 ou 8 ans, mon père en revenant de la messe du dimanche nous raconte le sermon de M. le Curé Adjutor Tremblay. Une maison était passée au feu la nuit précédente. Le curé avait dit: c'est une punition du bon Dieu; ces gens-là dansaient le samedi soir. La danse était défendue sous peine de péché mortel. Ça m'a marqué. Je me disais que le bon Dieu n'était pas un Dieu punitif mais un Dieu d'amour.
J'ai 72 ans et je n'en reviens pas encore. Un autre fait: nous étions déménagés à Montréal et ma sœur Cécile nous visitait. Elle était faible et malade et souffrant d'anémie pernicieuse, d'après le médecin. Le médecin lui avait conseillé de vivre en frère et sœur avec son mari jusqu'à son rétablissement. Elle avait déjà eu ses trois premières filles d'une façon assez rapprochée. Dans ma petite tête de 13 ou 14 ans je me disais: "si son mari commence à sortir, le curé va lui dire, priez madame pour qu'il vous revienne".
Aujourd'hui encore, je crois en un Dieu miséricordieux et en le Dieu qui a soulagé ma mère lors de sa brûlure à son pied et lors de son transport à l'hôpital.
Même aujourd'hui, je suis divorcée et remariée; je ne peux aller communier. Je l'accepte, je crois en Dieu et le prie tous les soirs. Ce n'est qu'en 1998, à l'occasion d'une première communion que je suis allée à la confesse et communié, grâce à la recommandation de M. l'abbé Alfred Boursier, frère de Angie Colpron. Toutes ces années, depuis ma séparation, à me faire dire que je ne pouvais communier. J'en ressens encore un certain malaise après 50 ans.
Voici deux petits incidents cocasses, mais qui ne l'étaient pas dans les années 30 ou 32, au moment où ils se sont produits. C'était des années de grande pauvreté. A la suite d'une forte pluie et de grands vents qui ont duré une dizaine de minutes, nous avons trouvé les jeunes poulets dehors, couchés dans une petite rigole près de leur cabane. Ils avaient l'air morts. Ma mère les a enveloppés dans une flanelle et les a mis dans un fourneau tiède. Au bout d'une quinzaine de minutes ils se sont mis à caqueter; elle les avait sauvés.
L'autre incident concerne aussi les poulets. Ma mère avait mis des poulets presque naissants dans une flanelle et dans une chaudière placée à l'étage pour les tenir au chaud. Par malheur, nous avions aussi une autre chaudière pour nos besoins durant la nuit. Je crois que c'est Alphonse qui avait une petite diarrhée et il s'est trompé de chaudière. Les poulets ont réagi avec des petits pit pit des plus en plus forts. Cécile ou Lucienne ont hérité du nettoyage. Pauvres poulets, ils ont survécu et quand on les a mangés, ils étaient bien assaisonnés. Ah! Ah!
Tard à l'automne, la maison se vidait. Mon père et mes frères les plus vieux, Camil et Paul, étaient au chantier. Et l'hiver était long et froid. Nous n'avions pas les vêtements d'aujourd'hui à l'épreuve du vent et de la neige mouillante. Aux pieds, nous avions des "rubbers" lacés simplement, doublés d'une toile mince. Nous les prenions quelques points plus grands pour enfiler trois paires de bas de laine tricotés à la main. Les filles ne portaient pas de pantalons mais des culottes à grandes manches faits en coton. Faut croire qu'on s'habitue à tout, même à se geler des fesses. On avait hâte au printemps. La neige n'était pas encore toute fondue qu'on courait déjà pieds-nus et on sautait pour éviter les taches de neige. Nous avions tous une très bonne santé. Si nous faisions de la fièvre, ma mère faisait une infusion d'herbe à dinde et pour un gros rhume, un cataplasme d'onguent moutarde. Ça nous remettait vite sur pied.
A Montréal, nous avions un oncle, Alfred Burton et une tante, Christiana, soeur de maman. Ils avaient deux fils, Robert et Léo. Ils habitaient St-Henri, au 254 ou 354 de la rue Bourget au coin de Workman. Cette parente nous envoyait des boîtes linge une couple de fois par année. C'était alors une fête. Ma mère nous ajustait et nous faisait de belles choses à partir de ce linge. Même qu'une fois, ils nous ont envoyé de 10 à 15 livres de chocolat pur. Ce chocolat provenait de la compagnie Baker's où mon oncle travaillait. Nous n'en avions jamais mangé. Nous nous sommes rassasiés. Ça été la seule fois que nous en avons mangé au Lac St-Jean. Depuis ce temps je me suis bien reprise, j'en ai bouffé et voyez-en le résultat. Il faut en rire.
La fête de l'Halloween n'était pas connue et pas fêtée au Lac St-Jean, mais la mi-carême se fêtait. Les jeunes gens du village se déguisaient. Dans la boîte venant de Montréal, il y avait un chapeau de femme original que ma sœur Cécile avait porté une couple de fois pour aller à la messe avant d'entrer au couvent. Paul s'en était servi pour se déguiser et aller flirter les filles du village.
Quelques curieuses ont reconnu le chapeau de la petite Dubois et par le fait même Paul a été reconnu. Il était bien désappointé.
A l'école, l'enseignement était l'équivalent des écoles primaires de Montréal. Nous avons quitté Albanel en mai, j'étais alors en 3e année et j'ai été placée en 4e année en septembre. Je n'ai pas eu de difficulté à m'adapter, excepté pour l'anglais, langue que j'entendais pour la première fois. Ça été la seule matière difficile à assimiler. Je me souviens qu'à Albanel, la maîtresse nous avait montré dans sa géographie le canal Lachine de Montréal, St-Henri. Je ne pensais jamais voir ces endroits-là. Même à 8 ans, il n'est pas défendu de rêver, mais dans ce cas-ci, le rêve s'est réalisé. En effet, nous demeurions à quelques rues du canal Lachine. Je me considère chanceuse d'être sortie d'Albanel.
L'école terminée, il fallait penser au jardin. Mes parents faisaient des couches chaudes pour les navets, les citrouilles et les choux, mais il fallait les transplanter un par un dans un petit cornet de papier journal pour les préserver du froid et du gel et les arroser pour faire prendre racine. Nous en avions pour quelques soirées, même si c'était le soir et même durant les journées. Certains légumes, comme les tomates, ne pouvaient être cultivés. A cause de la température, ils ne se seraient pas rendus à maturité. Nous avions cependant des navets, des carottes, des patates, des oignons, des gourganes, de la citrouille et du Sarrazin. Les tomates n'auraient pas le temps de mûrir. Les navets servaient aussi de nourriture pour les vaches et les cochons. Nous les faisions cuire dans de gros chaudrons en fer à l'extérieur et ils étaient mélangés avec leur autre nourriture de base. Comme petits fruits, nous avions les fraises des champs, les bleuets, les cerises, l'oseille, le pinbina et thé des bois.
Notre 2e voisin, Léo Vincent, ne voulait pas marier une habitante de par chez-nous. Il est venu à Montréal, a rencontré une fille de la ville, qui travaillait comme servante chez des gens riches. Ils se sont mariés, ça s'est fait vite. Pour leur première fille ils ont construit un parc en bois, autrement dit, une boîte en bois, recouverte en dedans et en dehors d'une toile cirée blanche. Pour nous, les habitants, c'était nouveau, on n'avait jamais vu ça. Chez nous, les enfants se traînaient sur un plancher de bois non peinturé. On apprenait à marcher peut-être avec quelques échardes. On trouvait cette invention merveilleuse et en plus la petite avait une poupée, un jouet que j'avais vu dans le catalogue. Nous n'avions jamais eu de jouets et on trouvait le moyen de s'amuser quand même entre nous. J'étais seule de fille avec les cinq derniers garçons. Quand la chicane prenait, je me défendais comme un petit diable et si je ne gagnais pas, j'allais me plaindre à ma mère. Mais celle-ci devait me connaître, puisque souvent je m'en retournais bredouille. On ne connaissait pas grand chose, mais nous étions heureux.
Un jour, nous avons eu la visite de deux oncles et tantes de St-Félix de Valois. Les deux femmes étaient les deux sœurs de ma mère, Marie et Rosanna.
Je crois qu'à cette occasion, mon père, un peu orgueilleux, se sentait un peu humilié vis-à-vis eux, une petite maison, pas de chambre pour les coucher. Ces gens-là avaient une grosse famille comme nous, mais ils étaient mieux nantis. Ils nous ont apporté une grosse tresse de bannes encore vertes. Nous n'avions jamais vu ça, on y a goûté, ça n'a pas été un succès pour la parenté! Pour nous, ça goûtait les patates crues. J'en ai mangé plusieurs années plus tard à Montréal. Ça n'a jamais été un régal pour moi.
Chez nous, Noël était une fête religieuse. Mon père, ma mère et les plus vieux allaient à la messe de minuit et nous les jeunes à la maison, on récitait les "Mille Ave" et on allait se coucher. Mais pour le jour de l'an on pendait nos bas la veille et le lendemain, surprise! Des oranges, des bonbons clairs rouges. On les faisait durer le plus longtemps possible, on était heureux. Gérard conservait ses bonbons très longtemps et nous l'envions car les nôtres étaient dévorés depuis belle lurette. Nos jouets étaient "home made": des traîneaux pour l'hiver, une brouette pour l'été: c'étaient des jouets familiaux.
Pendant les vacances des Fêtes, mes frères les plus vieux étaient allés un jour jouer chez les Lamontagne avec Donat et Alyre, des garçons de 12 ou 13 ans. Ces gens là faisaient de la bière maison. Après en avoir bu, les cochons marchaient tout croche. Ils se sont emmalicés et ont sauté par dessus la clôture courant après les garçons qui ont eu la peur de leur vie. Ces faits n'ont été racontés que beaucoup plus tard. On soulignait la fête de Pâques. Mon père allait quérir de l'eau de Pâques avant la levée du jour. C'était supposé être miraculeux et l'eau se conservait très longtemps. C'était l'hiver et mon père était malade depuis un certain temps. Il avait un résipèle, la figure enflée, pas deux fois la largeur de la figure mais presque et beaucoup de fièvre. Il faisait très froid dehors et les enfants étaient tous dans la maison. On disait, il va y avoir une tempête, les enfants sont tannants. Mon père ne pouvait se reposer; ça devait être terrible pour lui, nous étions tous dans la même pièce. Mais moi j'étais la plus tannante, j'agaçais mes frères, on criait. Après plusieurs avertissements sans résultat, mon père a manqué de patience. Il a pris la strap dont il se servait pour aiguiser son rasoir droit et m'en a donné un coup sur les jambes. J'en méritais plus que ça. Mes frères riaient sous cape et j'étais plus fâché de leur comportement que du coup de strap. Mes parents étaient patients et n'étaient pas portés sur les corrections corporelles~ des petites tapes sur les bras ou sur les fesses, c'est tout. Je me demande comment ils faisaient pour endurer le bruit qu'on pouvait faire. Nous étions cordés les uns sur les autres dans notre petite maison.
Un incident qui aurait pu tourner au tragique. Mes frères avaient creusé dans des bancs de neige des trous de 3 pieds de diamètre sur 6 pieds de profondeur et à la base il y avait des tunnels communiquant entre eux. La neige et la poudrerie les avaient remplis. N'ayant pas d'eau de Javel pour blanchir le linge, ma mère était allée étendre le linge sur la neige. Elle était tombée dans l'un de ces trous. Elle criait mais personne ne l'entendait. Après un certain laps de temps, un de mes frères est sorti de l'écurie et s'en revenait à la maison. Heureusement qu'il l'a entendu crier, il a pu la sortir du trou. Ma mère était gelée et a eu la frousse de sa vie. Le bon Dieu l'a aimé et nous a aimés aussi en protégeant notre mère une autre fois. Nous lui devons beaucoup de mercis.
"Voici les parents" Hormisdas et Flore aubin
Mon père, un homme honnête, travaillant, courageux et bon sous des dehors sévères. Il était plus malade que nous quand nous l'étions. Fière de sa famille, très croyant, pour lui le curé était le bon Dieu sur terre. Le curé enseignait ce qu'on lui avait enseigné. Certains enseignements feraient pic pic aujourd'hui, c'est mon opinion et vous n'êtes pas obligés de la partager. Mon père et ma mère s'aimaient beaucoup, on voyait souvent des petits gestes tendres entre eux.
Ma mère était bonne, travaillante, soumise comme c'était dans le temps et compréhensive. Elle nous aimait beaucoup. Je crois que tous les enfants ont pris exemple sur eux: honnêtes, travaillant, aimant leur famille et trouvant toujours du plaisir à se retrouver ensemble. Moi aussi, je suis fière de ma famille, ils ont tous assez bien réussi. Les plus vieux, n'ayant pas eu la chance de s'instruire, ont su compenser par leur habileté, leur manière de faire et leur débrouillardise, comme nos parents avant eux. Assez dit, si je ne veux pas passer pour "têteuse".
Une chose que je trouve regrettable, c'est que je n'ai pas eu la chance de connaître ma grande sœur Cécile. J'étais jeune, elle était allée travailler à Dolbeau comme servante. Ensuite elle s'en est allée chez les religieuses de Roberval, puis elle est sortie de chez les sœurs.
Après quelques temps de fréquentation avec Raoul, elle s'est marié, a eu sa fille Lucie et nous sommes déménagés à Montréal. Mes parents allaient la visiter de temps en temps et elle venait à Montréal à tous les trois ans. J'ai été plus chanceuse avec Lucienne. Même quand elle était au couvent, elle venait souvent à la maison. Depuis que les règlements s'étaient élargis, elle s'habillait en civil et j'allais magasiner avec elle. Je n'ai pas eu cette chance avec Cécile. C'est un de mes regrets. J'avais neuf ans quand nous sommes déménagés à Montréal, dans le quartier St Henri, au 153 de la rue Rose-de-Lima, en plein temps de crise 1934.
Voici un fait drôle à se remémorer aujourd'hui. Ma tante Christiana était venue nous chercher à la gare de Westmount et nous avons pris le train. Nous, les enfants, étions trop petits pour nous tenir aux ganses du plafond. Alors, à chaque arrêt nous nous ramassions sur les gens assis ou d'un bout à l'autre du tramway. C'était drôle pour nous. Nous parlions fort et riions aux éclats, quel fun pour nous. Il me semble voir ma tante souffrant le martyr et les gens devaient nous prendre pour une gang sortant du bois.
On allait de surprise en surprise. A Montréal, ils avaient de grosses machines pour laver les rues pendant qu'à Albanel nous étions à l'âge de Pierre avec nos chemins de terre et nos panses de bœuf au printemps. En arrivant chez mon oncle Alfred Burton, on a vu une autre nouveauté: les toilettes. Il suffisait de tirer la chaîne et tout disparaissait. On a dû détraquer la chaîne une dizaine de fois avant que chacun ait satisfait sa curiosité.
Une autre nouveauté: l'électricité. C'était beau, éteint, allume. Avant que chacun l'ait essayé mon oncle Alfred et ma tante Christiane devaient être au désespoir. Je crois voir l'œil moqueur de mon cousin Robert devant notre ébahissement. Il était un peu hautain. Par contre, son frère Léo était complètement à l'opposé. Il a toujours été plus près de nous. Enfin nous sommes arrivés dans notre nouveau logement sur la rue Rose-de Lima: une grande 6 pièce, un bas, une chambre pour papa et maman, une chambre pour moi et Lucienne et un salon double pour les 9 garçons. Nos parents nous ont inscrits pour finir l'année scolaire. L'enseignement scolaire à Albanel était l'équivalent de celui donné à Montréal. J'étais en 3e année, Rosaire en 2e année, Gérard et Léo en 4e année. Armand n'a commencé l'école qu'en septembre suivant. Rosaire, qui avait beaucoup de talent, a pu sauter une année pendant que Gérard a doublé son année. C'est ainsi que ces deux là se sont retrouvés dans la même classe. Les plus vieux, à partir d'Arthur, avaient fini l'école et s'étaient mis à la recherche de travail.
Durant la première semaine de classe, j'ai attrapé des poux. Recette: lavage de la tête, application d'huile à lampe et enveloppement de la tête pour une journée et relavage. Résultat: plus jamais de poux. C'était un remède radical.
A notre arrivée à Montréal, nous étions regardés comme des extra-terrestres: une grosse famille de 11 enfants, l'habillement, nous n'étions pas riches et pas à la mode, quand les voisins voyaient arriver le boulanger et entrer avec 17 pains pour la fin de semaine et en plus l'accent du Lac St-Jean avec les "r" roulés les faisaient rire.
Quelques jours après notre arrivée le 1er mai 1934, Gérard, en jouant sur la galerie arrière avec Léo, s'est entré un crochet de persienne dans la paupière du haut. Celui-ci avait traversé la paupière. Ça s'est mis à crier et à pleurer. Gérard était pris à la paupière par le crochet qui faisait comme un hameçon. Papa est intervenu et a enlevé délicatement le crochet. Ce n'était pas la mode d'aller à l'hôpital. Ça été désinfecté à la maison et ça bien guéri, sans aucun reliquat de cet accident. Notre propriétaire habitait une petite maison dans la cour arrière. Imaginez, il avait une belle vue sur nos activités enfantines. Faut croire que nous n'étions pas si désagréables pour 6 enfants d'âge scolaire et 5 au travail. Au mois de mai, quelque temps après notre arrivée, notre propriétaire est venue nous montrer la Presse et la photo de naissance des 5 jumelles Dionne. Je soupçonne la propriétaire d'avoir trouvé cette raison pour visiter la maison et voir si tout n'était pas brisé et ce qu'on avait l'air, vus de plus près. Je pense qu'elle était satisfaite et qu'elle nous a regrettés. Nous étions bons payeurs et pas trop bruyant pour la gang.
Une voisine du haut, une dame Brière, donnait l'impression de japper comme un chien. On a appris que, à la suite de l'extraction d'une dent, le dentiste aurait sectionné un nerf Elle avait beau se retenir, quand elle n'en pouvait plus, ça sortait comme des jappes de chien.
Ça pris du temps avant de nous faire des amis, on se suffisait entre nous et nous n'allions pas facilement vers les autres. Les plus vieux de mes frères s'étaient fait des amis: Arthur Beaudry et Jean-Paul Laporte. Ces jeunes étaient enfants uniques et chez-nous ils trouvaient des amis en quantité. Le soir, mes frères transformaient le salon en arène de lutte. Ils avaient vu ça au Champ Fabien. Les garçons luttaient, se coltaillaient. Ils avaient un fun noir.
Nous commencions à nous familiariser avec les rues de St-Henri, pour aller à l'école, pour aller chez mon oncle Fred sur la rue Bourget. En 1935, nous sommes déménagés au 3422 Workman près de la rue Greene et j'y suis restée jusqu'à mon mariage, le 26 décembre 1944. On commençait à passer pour des Montréalais, la campagne commençait à sortir de nous autres. Nous demeurions à 3 ou 4 minutes de l'école Victor-Rousselot pour les garçons et du couvent des Sœurs de Ste-Anne. En 4e année, Sœur Claude-Marie m'enseignait et un jour elle avait fait allusion au fait que je venais de la campagne pour se moquer de devant les autres élèves. Mon orgueil en avait pris un coup et je l'ai pris en aversion.
Mais une sœur que j'ai toujours aimé c'est Sœur Marie Lucien, haute comme trois pommes, 4,2 pieds, mais fine comme tout. Elle était sévère mais juste. A la fin de ma 8e année, elle m'avait proposé de m'envoyer à St-Jérôme, mes études payées par la communauté pour pouvoir enseigner plus tard en communauté. Ma sœur Lucienne était déjà chez les sœurs de Ste-Anne et moi ça n'était pas ma vocation et je ne voulais pas être religieuse. J'aurais pu faire comme d'autres à qui ça avait été offert; elles ont été instruite gratuitement et ne sont jamais entrées chez les Sœurs. Moi, je ne pouvais recevoir l'instruction sachant que je voulais rester dans le monde. C'était un cas de conscience que je ne pouvais accepter.
Notre enfance et notre adolescence se sont passés sur la rue Workman pour moi, pour Armand, Rosaire, Léo, Gérard et aussi pour Alphonse durant quelques années. Nous avions comme voisin de droite monsieur et madame Gleize et leurs trois enfants: Gabriel, le grand frère, Aline de deux ans plus jeune que moi et qui est devenue ma belle-sœur et le bébé Jeannine qui n'avait que trois ans. Durant l'année, nous allions à l'école et les vacances de l'été se passaient avec Aline sur la galerie en arrière ou sur le trottoir en avant de chez-nous. Nous étions 5 Dubois et Aline. Nous étions suffisamment nombreux, nous n'avions pas besoin de d'autres enfants pour nous amuser. Jeux: cachette, la tail, course sur une patte pour traverser la rue sans tomber. Les autos étaient rares.
Notre voisin de gauche était la famille Deschamps, comprenant 4 enfants: un garçon, Gérald et trois filles, Rolande, Gisèle et Marcelle qui était handicapée mentale et confinée à la maison et ne pouvant marcher qu'en s'aidant des murs ou de la table. Des gens orgueilleux et blessés d'avoir une enfant malade. Dans ce temps-là, on les cachait comme une honte. Notre adolescence s'est vécue calmement, à l'école et autour de la maison. A part mon oncle Fred et tante Christiana, la parenté se faisait rare à Montréal.
La guerre éclata en 1939. Mes frères Paul, Arthur et Alphonse se sont engagés comme volontaires. Camil, l'aîné, était déjà marié à Antoinette Coderre. Quant à Omer et Elodia Paquette, ils se sont mariés pendant la course au mariage. Ceux qui étaient mariés n'étaient pas appelés sous les drapeaux, dumoins pour le moment. Un peu plus tard, Gérard a été appelé, mais au moment de partir pour outre-mer il a choisi d'aller demeurer chez Camil à St-Sauveur.
Lors du départ de mes trois frères pour l'Europe, mes parents ne sont pas allés les reconduire à la gare: ils ne voulaient pas leur enlever leur courage et ne voulaient pas pleurer devant eux. Quand Gérard est parti pour le camp militaire au Canada, il devait trouver le temps long car il a commencé à correspondre avec Aline, son amie d'enfance. Ça s'est terminé par leur mariage, le 26 octobre 1946. Arthur était marié à Gertrude Duchesne le 18 juillet 1942, et ils avaient déjà deux enfants au moment de partir pour la guerre. Alphonse aussi était marié à Marcelle Pelletier et était sur le front de la Hollande lorsqu'il fut blessé. Paul était célibataire et était au front en Italie et surtout comme ingénieur d'avant-garde pour faire sauter des ponts devant l'ennemi. La guerre aduré de 39 à 45. Entre temps, Lucienne est entrée chez les sœurs de Ste-Anne, Léo et Rosaire sont allés au Juvénat et au Noviciat des Frères de Ste-Croix. Ils étaient loin de l'âge militaire et ne sont pas allés en religion pour être épargnés de l'appel à la conscription.
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