Biography Nadreau Francoise-Jacqueline
La vie libertine en Nouvelle-France au 17ème
siècle – Robert-Lionel Seguin (p.140 à 147)
Françoise
Nadreau,
autorisée par son mari Michel André dit St-Michel, tient auberge avec Vincent
Dugas. En mars 1689, l’année même du terrible massacre de Lachine,
le curé Remy
se rend chez le bailli de Montréal pour porter plainte contre « la
petite St-Michel, marchande publique et cabaretière ».
Sur ces
entrefaites, plus précisément le 20 mars, le couple André demande à l’officier
de justice de sévir contre ceux et celles qui viennent de les calomnier
publiquement. Les plaignants sont aussi rusés qu’astucieux. Leur manœuvre est
une habile riposte à la dénonciation du curé Rémy. Le 24 mai 1688, fête de
Notre-Dame Auxiliatrice, disent-ils, « la femme de Bouttentrain de
Lachine, en haine de quelques différends que son mari et elle avaient eus
contre la Suppliante (Françoise Nadreau) femme de Maisonneuve (surnom de
Françoise Nadreau) » publie et répète malicieusement qu’elle « avait
trouvé avec la femme à Chambly,
sa fille Gertrude dans des
fardoches avec un sergent de la Compagnie de monsieur de la Chasseigne
nommé Fougère qui faisaient du mal ensemble ».
Bonne commère, la Boutentrain veut partager le spectacle avec ses
connaissances. Elle court chercher du monde « qu’elle fut quérir à dix
arpents long ». Imaginons la scène. À la hâte, une femme marche un bon
tiers de mille, arrêtant de maison en maison pour inviter les occupants à la
suivre jusqu’où un couple est à prendre ses ébats amoureux. Pour en racoler
davantage, la Boutentrain promet de « leur montrer l’endroit où elle et la dite
Chambly avaient vu la dite Maisonneuve couchée avec le dit Fougère auquel elle
aurait montré des pistes de souliers de femme ». Au dire des plaignants,
tout ceci n’est qu’une odieuse machination, montée de toutes pièces par la
Boutentrain. Les hommes et les femmes qu'elle a amenés avec elle ne sont pas
lents à s’apercevoir que les pistes compromettantes « étaient des siens
(ses souliers) que malicieusement elle avait faites auparavant qu’elle fut
quérir personne et disait hautement que c’était la Suppliante qui prostituait
sa fille et lui servait de Maquerelle ». La calomniatrice agissant de
connivence avec son mari, « toujours en haine du procès que la dite
Bouttentrain avait intenté contre la dite Maisonneuve très mal à propos ».
Le temps
n’aplanira pas les difficultés entre la St-Michel (Françoise Nadreau) et les
Boutentrain. Le 28 mars, la cabaretière de Lachine se rend chez le bailli de
Montréal pour y déposer une plainte au nom de sa fille Gertrude André,
communément appelée la Maisonneuve. Avec le consentement d’un époux
« incommodé ne pouvant presque pas marcher »,
la Plaignante dénonce violemment les Boutentrain et la Chambly « pour plusieurs
calomnies qu’ils auraient publiées contre l’honneur et la réputation de sa dite
fille Maisonneuve ». La St-Michel s'en prend pareillement à Perrine
Filiatrault et à son époux « qui ont dit et avancé des choses qu’elle soutient
n’être pas véritable et contre l’honneur de sa dite fille Maisonneuve
(Gertrude) qui est malade ». Comme les intimés refusent toute réparation
d'honneur, le tribunal donne suite à la requête de la plaignante et procède à
l’audition des témoins. Malheureusement, une des impliquées, Marie Chausy,
épouse de Chambly, ne peut se rendre au prétoire « à cause de son incommodité
de grossesse ». Quant aux Boutentrain, la requérante demande qu’ils
« soient tenus de les prouver (les accusations contre la Maisonneuve)
incessamment, autrement et à faute de le faire la Suppliante vous demande que
le dit Boutentrain soit emprisonné et que sa dite femme soit tenue du même
châtiment que sa fille Maisonneuve a été menacée du Jéricho ».
Toute
médaille a son revers. Le même jour (28 mars), le notaire Bourgine consigne une
autre déposition qui accuse, cette fois, Gertrude André de s’être « abandonnée
publiquement à toutes sortes de personnes pour commettre des impuretés
scandaleuses dans lesquelles elle a été surprise et qui se peuvent justifier
tant par témoins à qui ses ruffiens
s’en sont vantés, que par d’autres qui ont vu commettre l’action ».
Des personnes auraient bien vent des marivaudages de la Maisonneuve, mais elles
préfèrent garder le silence plutôt que d’encourir la colère et les représailles
de ses galants. L’un de ces témoins a pourtant trouvé une canne à l’endroit où
la Maisonneuve et son amant prennent ordinairement leurs ébats. Cette canne,
dont on connaît le propriétaire, a été déposée comme pièce à conviction entre
les mains du notaire Bourgine. Ne pouvant parler sans risques de mort, la
plupart des témoins réclament « la protection et sauvegarde de
justice ». Pour couper court à toutes ces menaces, la Maisonneuve
(Gertrude André) « sera prise au corps et conduite en la prison destinée aux
personnes de sexe de méchante vie pour être ouie et interrogée sur les faits
résultant des dites plaintes... pendant que son procès sera par vous
extraordinairement fait ». Un nouveau développement aggrave la situation
déjà compromise du père et de la mère de l’inculpée. Ceux-ci sent convoqués
pour répondre à l’accusation d’avoir « prostitué la dite Maisonneuve, leur
fille et de vendre et débiter des boissons au préjudice de vos défenses ».
À la
suite d’aussi troublantes révélations, les événements se précipitent davantage.
Dès le lendemain, le bailli de Montréal défend à la St-Michel (Françoise
Nadreau) de tenir auberge en raison « des désordres et excès qui s’y sont
commis ». Nonobstant
cette consigne, le mari de l’hôtelière et un nomme Dugas ne continuent pas
moins de « tenir cabaret y souffrant des ivrogneries notoires et scandaleuses
». Devant pareil dérèglement, l’officier de justice charge le notaire
Jean-Baptiste Pottier,
de Lachine, d'ouvrir une enquête et de consigner les dépositions en marge de
cette affaire.
Malgré la
plainte formulée par Françoise Nadreau, la femme Chambly échappe à un premier
interrogatoire « à cause de sa grossesse et de l’approche de ses
couches ». Mais le 7
avril 1689, la requérante demande au bailli Migeon de Branssat de questionner
la Chambly, chez elle, pour ne pas retarder la marche des procédures. Le même
jour, le tabellion Pottier de Lachine, est désigné d’office « pour recevoir la
déposition de la dite Chambly et ce aux frais des dit St-Michel et sa
femme ».
Passons aux autres témoignages. Le premier est de
Simon Davaux dit Boutentrain, de Lachine. Âgé de 40 ans, ce déposant ne sait
rien de Maisonneuve, sinon ce que lui a dit sa femme. Vers les 3 heures de
l’après-midi, « le jour de l’Annonciation 25 du mois de mars »,
Perrine Filiatrault et la Chambly trouvèrent « Le nommé Fougère dans une petite
cédrière qui appartient à Jean Lahaye à Lachine avec la dite Maisonneuve
(Gertrude André) qui était venue par un coté et le dit Fougère par un
autre ». Les deux femmes sont d'abord intriguées par « deux pistes qui se
suivaient, savoir la piste d’un homme et celle d’une femme qui avait des
souliers mignons ».2 Ces pistes les conduisirent au cœur même du
bois où « elles furent surprises d’entendre un homme qui toussait et
reconnurent que c’était le dit Fougère » qui leur demande ce
qu’elles viennent faire à cet endroit. Sur quoi elles répondent « que c’était
pour chercher des balais ».
Tout en parlant, le galant s’efforce de « cacher derrière lui la dite
Maisonneuve qui s’en alla et prit le chemin pour aller chez elle en haut et le
dit Fougère descendit au fort de Rolant où il est en garnison, la dite cédrière
étant à mi-chemin du fort et du logis de la dite Maisonneuve ».
Les deux promeneuses se doutent bien que Fougère leur
a menti. Â peine est-il parti qu’elles reviennent discrètement sur les lieux de
leur première rencontre pour y trouver « un endroit où il y avait la figure
d’une femme imprimée sur la neige avec les talons de ses souliers et le reste
comme si elle s’était couchée sur le dos ». Satisfaites du résultat de leur
enquête, la Boutentrain et la Chambly vont chez la Marquise,
où loge Amable Gagné, et mettent tout le monde au courant de leur récente
découverte. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, Gagné est déjà dans
la cédrière avec son fusil. À la place indiquée, il distingue clairement
l’empreinte d’une figure dans la neige. Non loin se trouve « la canne du dit
Fougère ». Habituellement, c’est une pipe qu’on oublie chez sa belle. Fougère,
lui, y laisse sa canne. Remarquons que tout ceci n’influencerait pas trop un
tribunal avisé. La Maisonneuve et Fougère se sont rencontrés, d’accord. Ceci ne
veut pas nécessairement dire qu’ils ont goûté aux plaisirs d'Eros. Le
pensionnaire de la Marquise pense autrement. Brûlant de zèle, il court déposer
cette canne chez le notaire Pottier, à Lachine, pour qu’elle serve de preuve
contre Fougère. Imaginons la colère de ce dernier en apprenant pareille
démarche. Aidé de deux camarades d’armes, Fougère administre une verte raclée
au délateur, lequel couvert d’ecchymoses reste plusieurs jours à la maison. À
la suite de cette algarade, Fougère est arrêté et emprisonné.
Poursuivons. Des voisines ont répété à Boutentrain que
la Maisonneuve (Françoise Nadreau) est « grosse de deux mois et qu’elle
croyait d’accoucher d’un garçon et que son mari était parti pour France.
II y avait plus de quatre mois ». Enfin, le 1er novembre 1688, jour
de la Toussaint, Boutentrain profite que sa femme est à l’église pour se rendre
chez St-Michel où il rencontre la Maisonneuve, fille de ce dernier. Fougère
s’amène sur les entrefaites. C’est alors que la Maisonneuve « congédia
brusquement Boutentrain qui étant sorti, se mit derrière et regarda par une
fente qui était au dit logis. Il vit que la dite Maisonneuve fut chercher du vin
et donna à boire au dit Fougère et lui essuya la bouche avec une serviette ».
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Boutentrain est un bel écornifleur.
Perrine Filiatrault vient par après corroborer les dires de son mari, non
sans y apporter certaines précisions. Vers les 3 heures de l’après-midi, le
jour de l’Annonciation, soit le 25 mars 1689, la déposante Perrine, âgée de 23
ans, se rend à la ferme des Marquis, située à quelque neuf arpents de chez
elle. Perrine est accompagnée de son inséparable amie, la Chambly. Après avoir
bavardé, les deux copines prennent la route du retour comme il ne
« restait environ une heure de soleil ». Chemin faisant, elles «
rencontrèrent des pistes de femme qui entraient dans une petite cédrière ».
Curieuses, les deux amies suivent ces traces pour savoir où elles mènent. À
peine ont-elles fait sept à huit pas qu’elles tombent sur Fougère « qui était
assis et la Maisonneuve auprès de lui ». Ennuyé par cette arrivée fortuite,
Fougère se lève prestement et tousse pour se donner de la contenance. II faut
bien échanger quelques mots. Les deux femmes prétendent qu’elles viennent « couper
des balais ». C’est ce qu’elles font effectivement en laissant « Le dit Fougère
qui cachait comme il venait à elle la dite Maisonneuve », laquelle tourne
talons pour rentrer chez elle. Sitôt arrivée à la maison, la déposante Perrine
se hâte de mettre Gagné, le pensionnaire de la Chambly au courant de ce qu’elle
a vu. Gagné n’a rien de plus pressé que de se transporter à l’endroit qu’on lui
a indique où il « trouva la canne du dit Fougère dans le lieu ou il s’était
assis avec la dite Maisonneuve et y remarqua une couche imprimée sur la neige
». Accourues plus tard, d’autres personnes voient également « la dite
couche et les pistes ». Quant à Gagné, il ira remettre la canne au notaire
Pottier.
Indiscutablement, la Maisonneuve, sa sœur Jeanne et
Fougère sont familiers. L’automne dernier, la déposante Perrine reçoit la
visite de la Maisonneuve « et de sa sœur Jeanne, aussi grande
quelle ». Elles sont bientôt rejointes par Fougère qui « badinant avec la
dite Maisonneuve et sa sœur Jeanne la frappe de ses mains à nue sur ses fesses
ayant mis sa main sous ses jupes.
Et l’ayant quittée, il vint faire autant à sa dite sœur la Maisonneuve et la
jeta sur son lit pour la fouetter. Ce qu’elle souffrit en lui disant Je ne
serai pas contente si vous en faite autant à celle qui dépose ». Tant
d’intimité n’a pas l’heur de plaire à la Filiatrault. « Si vous êtes assez
bonne pour le souffrir, réplique-t-elle sèchement à la Maisonneuve, je ne
permettrai pas qu’il me fasse un pareil traitement ». Après cette
remarque, le galant sort sans tambour ni trompette.
Fort de ces dépositions, le tribunal admoneste la prévenue (Françoise
Nadreau) de belle façon, la menaçant même de fermer son établissement A quoi
bon puisque la S-Michel, digne émule de la Folleville, se fiche des convenances
et multiplie les aventures à son gré et a sa fantaisie.
Montréal.
Doc. jud., AJ. de l’ordonnance de Monsieur le Bailli de l’isle de Montréal, 29
Mars 1689. Comparution de la Saint-Michel. Monsieur le Bailli de l’isle de
Montréal. 30 Mars 1689.
Montreal. AJ., Doc. jud., Comparution de la Saint-Michel. Monsieur Le Bailli de l’isle
de Montréal. 30 Mars 1689.
A
l’époque, on fabrique couramment
des balais avec des rameaux de cèdre.
D'ou 1'expression : fou comme un balai de cèdre.
Sans doute Marguerite Baugran, originaire de Saint-Gervais de Paris. Veuve de
Sebastien Cousin, elle epouse Charles Le Marquis, fils de Charles et de Jeanne
Bignon, de Mortagne, au Perche. Le mariage est beni a Quebec, le 18 septembre
1673.
A l’époque, plusieurs
colons retournent en France à deux et même trois reprises
pour y régler des affaires ou revoir des parents.
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