Biographie Vandelac Auguste
Publié dans Le Devoir, Montréal jeudi 18 août 1932
M. Auguste Vandelac, doyen du marché Bon-Secours
Le petit-fils de Jean-Baptiste Vand-hoolaeghe qui fit les campagnes de Napoléon 1er, de 1792 à 1815 et reçut la médaille de Sainte-Hélène, fêtera ses noces de diamant, samedi - Mémoire excellente et fin conteur - Précieux dépôt - Une offre de $200 - Souvenirs d'autrefois - Tinomme Bélair proclamé champion de la boxe - les gars de St-Henri et ceux du bord de l'eau.
Le petit-fils de Jean-Baptiste Vand-hoolaeghe qui fit les campagnes de Napoléon 1er de 1792 à 1815, M. Auguste Vandelac (tel que le nom s'écrit depuis une centaine d'années) célèbre samedi prochain ses noces de diamant. M. Vandelac est âgé de 78 ans, mais on ne lui donnerait jamais cet âge à le voir assis à son bureau à son magasin de la rue Saint-Paul situé en face du marché Bon-Secours où tous les jours on peut le trouver. Sa femme, née Nantel (Adèle), porte elle aussi allègrement ses trois quarts de siècle. Tous deux renouvelleront samedi matin à l'église Saint-François Solano de Rosemont leurs promesses nuptiales pour le sixième fois, car aux noces de bois, de fer-blanc, d'argent, d'or ils ont renouvelé les promesses de leur premier mariage qui date de 1872. M. Auguste Vandelac avait 18 ans et sa femme 15, lorsqu'ils convolèrent. Dès cette époque M. Vandelac s'était fait commerçant de fruits et de légumes et il tenait magasin, rue Saint-Paul. Il a changé de local plusieurs fois, mais toujours il se fixe aux alentours du marché, ayant même pendant quelques années ses comptoirs dans le grand édifice de Bon-Secours. Il n'y a que quelques semaines il a dû quitter son magasin de la rue Saint-Paul situé en arrière des entrepôts Poulin, près de Saint-Claude par suite de l'expropriation nécessaire à l'agrandissement du marché. À l'heure présente il est fixé rue Saint-Paul encore à quelques pas de la rue Bon-Secours où se trouvait jusqu'au mois de mai un M. Wilson. A cause des noces de samedi, ce magasin sera fermé ce jour-là, toute la journée. Les quatre fils et la fille de M. Auguste Vandelac ont décidé de marquer cet événement par une petite fête familiale. En plus des parents, plusieurs conseillers et députés seront présents à la fête. Après la cérémonie religieuse du matin il y aura réception chez M. Emile Vandelac, l'un des fils où demeurent les jubilaires. Le soir un autre fils, M. Pacifique Vandelac, donnera une réception à sa demeure de Cartier-ville.
Le doyen du marché Bon Secours
M. Auguste Vandelac est le doyen des marchands des alentours du marché Bon-Secours et tout probablement de tous les marchands de la rue Saint-Paul. Jamais il ne manque de se rendre à son magasin, et il suit personnellement ses affaires commerciales. Vers l'âge de 65 ans, dit-il, j'ai songé à "lâcher". Je me suis mis à rester à la maison. Au bout de quelques temps je ne savait que faire de moi, je ne mangeais plus, je ne dormais plus. Je suis revenu à mon magasin, et depuis ce temps-là jamais je n'ai eu l'idée d'abandonner mon commerce. A quoi ça sert de demeurer à ne rien faire quand on est capable de travailler? dit-il, en se dressant vigoureusement.
Comme il nous voyait prendre des notes, M. Vandelac laisse tomber un mot de regret. Vous êtes bien chanceux de savoir écrire et lire vous autres, dit-il. Moi j'appartiens à la génération qui se vantait autrefois de ne savoir ni lire ni écrire. Aujourd'hui, je ne m'en vante plus, car ils ne sont plus nombreux ceux de cette époque-là, et, les temps étant changés je m'aperçois que l'instruction est indispensable et que ses bienfaits sont incalculables.
Fin conteur
Si M. Vandelac ne sait que signer son nom, comme il nous l'a avoué, il n'en reste pas moins qu'il a une mémoire excellente et qu'il est un fin conteur. Il ne souffre pas d'une ombre de surdité et possède une bonne vue. Lorsqu'il nous parle de son grand-père qui servit dans l'armée de Napoléon, des chicanes qui se réglaient avec les poings autour des hôtels, des championnats de boxe d'autrefois et autres sujets aussi intéressants, ses yeux s'animent et l'on oublie que l'on est en face d'un homme qui compte presque seize lustres.
Soldat de Napoléon 1er
Le vénérable jubilaire nous raconte d'abord que son grand-père Jean-Baptiste Vand'hoolaeghe fut un nombre des soldats de Napoléon de 1792 à 1815, qu'il fit toutes les campagnes de cette période et qu'il fut fait prisonnier à Waterloo avec Napoléon. Il vint ensuite au Canada, où il mourut à 78 ans, à l'âge que j'ai en ce moment, en 1860. Je n'avais que six ans et je me souviens de tout comme si sa mort avait eu lieu hier. Peu avant sa mort il avait reçu la médaille de Ste-Hélène, instituée par Napoléon III en 1857, laquelle médaille était attribuée à touts les militaires français et étrangers des armées de terre et de mer qui avaient combattus sous les drapeaux français de 1792 à 1815. Mon grand-père reçut cette médaille accompagnée d'un certificat du grand chancelier de l'Ordre Impérial de la Légion d'Honneur. Ce certificat était encadré et placé au-dessus de son chevet à sa mort. [Cela n'est pas tout à fait correct, car déjà en 1810 on trouve Jean-Baptiste Vandelac dans les livres de solde du régiment suisse de Meuron qui se battait pour les Britanniques. Le régiment arrivait en 1813 au Canada pour faire campagne contre les Américains. Dans ce régiment se trouvaient plusieurs ex-soldats de l'armée de Napoléon qui ont été fait prisonniers. Probablement il était soldat pour Napoléon avant 1810.... Hans Waldispuhl. (Voir Maurice Vallée, le Régiment suisse de Meuron au Bas-Canada)].
| Médaille de Ste-Hélène (valeur marchandé en octobre 2008, eviron 50.00 EUR).
Pour savoir plus sur ces médailles: http://www.stehelene.org
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Médaillé de Sainte-Hélène
M. Vandelac nous fait alors voir cette médaille et ce certificat et nous raconte que son grand-père recommanda à son fils Auguste, de conserver précieusement ces souvenirs. À la mort de ce dernier, c'est M. Auguste Vandelac, le jubilaire qui reçut le précieux dépôt. Toujours M. Vandelac a conservé jalousement cette médaille et ce certificat. Cette médaille commémorative est en bronze et surmontée de la couronne impériale. Elle porte d'un côté l'effigie de Napoléon 1er la tête couronnée de lauriers avec les mots: Napoléon Empereur. De l'autre on trouve la légende suivante: Campagnes de 1792 à 1815. - À ses compagnons de gloire, sa dernière pensée, 5 mai 1821, Ile Sainte-Hélène. Le certificat adressé à Jean-Baptiste Vandelac porte le no 7, ce qui laisse vraisemblablement croire qu'il fut l'un des premiers émis.
Collectionneur
M. Vandelac nous raconte alors qu'il a eu plusieurs offres pour cett médaille de Ste-Hélène. Un américain, entre autres, lui a offert la somme de $200.00. D'autres ont voulu avoir le certificat pour des sommes assez rondelettes, mais toujours M. Vandelac a refusé. Il tient à ses souvenirs et il est aussi collectionneur. Ainsi il a conservé quelques clous d'une maison démollie après 210 ans d'existence. Ces clous sont carrés et faits au marteau. Il possède encore aussi un gond de la grande porte du deuxième cimetière de Montréal qui s'étendait aux alentours de la basilique de Montréal aujourd'hui.
Au sujet de la médaille de Ste-Hélène, M. Vandelac ajoute à notre question, qu'un seul autre citoyen de Montréal possédait une semblable médaille. C'était un nommé Tournabob, grand ami de son père. Selon la coutume, cette médaille se portait à la boutonnière pendue à un ruban vert et rouge. Un jour le dénommé Tournabob traversait le fleuve et en se penchant au-dessus de l'eau, le ruban cédait, la médaille disparue dans les flots.
De plus, M. Vandelac possède la boite à pierre à fusil de son grand-père Vand'hoohlaeghe. C'est une petite boîte d'étain où les soldats avaient en réserve quelques pierres. M. Vandelac nous fait alors observer la marque de la patte d'oie sur l'une des faces de la boite. Regardant avec satisfaction ces précieux souvenirs de son grand-père conservés par son père et par lui-même, le bon vieillard termine ce sujet de conversation en disant qu'il ne donnerait pas le tout pour mille piastres.
Pour une plume
M. Vandelac nous raconte ensuite les souvenirs de sa prime jeunesse. Il n'avait que six ans lorsqu'il assista à un combat pour le championnat de la boxe. Celui qui avait lancé le défi était un québécois. Le symbole du championnat était alors une plume qui portait le champion à son chapeau. On se battait donc pour une plume. Celui qui releva le défi du québécois fût le grand-père maternel de M. Vandelac, Tinomme Bélair, comme on l'appelait. Le combat eut lieu au Pressoir, où se trouve aujourd'hui la rue Des Carrières. L'arbitre n'était autre que Joe Montferrand, homme assez populaire à cette époque. Selon la coutume, les deux boxeurs se découvraient le torse et quelqu'un tenait une planche ou un câble recouvert d'une catalogne à la hauteur de la ceinture des deux lutteurs. Tinomme Bélair et son adversaire se battirent pendant une homme [sic] et quart. Ils étaient tous les deux rendus à bout. A la fin du combat, comme c'était la pratique alors, les deux lutteurs se pinçaient la peau à trois endroits sur la poitrine et un sang noir en coulait. Il fallait se débarrasser de ce sang qui aurait pu autrement causer des empoisonnements. Tinomme Bélair fût proclamer champion et portant la plume à son chapeau.
M. Vandelac ajoute alors que c'était la coutume alors de régler les chicanes avec les poings. Il y avait trois ou quatre endroits dans la ville ou tous les jours il y avait des batailles. Les gars de St-Henri lançaient des défis à ceux du bord de l'eau et autres. L'hôtel McDollan, était nommé le Presssoir, un endroit désigné pour ces batailles. Il était situé au bord de l'eau l'angle de la rue Jacques-Cartier.
Le bord de l'eau
Parlant du bord de l'eau, M. Vandelac rappelle que lors de ses premières années de commerce, les quais n'étaient pas encore construits en arrière du marché Bon-Secours. On lavait nos voitures en les reculant dans l'eau, dit-il. De même lorsque je travaillais à la construction de la première gare Viger et des voies, on reculait les voitures dans l'eau, près des barges, dit-il, pour y charger les traverses de chemin de fer.
Là-dessus, M. Vandelac nous décrit tous les méandres du ruisseau qui partait de la rue Laurier d'aujourd'hui, passait à travers le Parc Lafontaine, serpentait entre les rues Panet, Beaudry, ou les ponts étaient nombreux, pour se jeter finalement dans le fleuve. Jeune, il a fait la pêche dans ce ruisseau et y a joué avec des compagnons.
La brutalité des soldats
M. Vandelac montre ensuite que les moeurs des soldats étaient rudes, lorsqu'il n'avait encore que huit ans. Les soldats passaient souvent rue Visitation. Les écuries de la cavalerie étaient au bord de l'eau, à peu de distance du quai Victoria d'aujourd'hui. Un matin, on trouva deux femmes mortes dans la rue Visitation. Elles avaient été les victimes des soldats.
Quelques jours après, on en trouve une autre. Nous demandons alors à M. Vandelac si les soldats ont payé ensuite de leur personne pour ces crimes révoltants. ''J'étais trop jeune, je ne me souviens pas comment cela a tourné", dit-il.
Des gens des Côteaux
Où vous approvisionniez-vous pour votre commerce durant vos premières années, rue St-Paul? demandons-nous à M. Vandelac.
Nous prenions nos fruits et légumes, dit-il, des gens des Côteaux, c'est-à-dire des cultivateurs, du chemin de Lachine qui possédaient de belles terres et de beaux vergers. Nous nous approvisionnions aussi de trois jardiniers irlandais qui étaient les beaux-frères: McAvoy, Christie et Gracy. Tous trois avaient de grands jardins, rue Ste-Catherine, de Panet à Papineau. Plus au nord, il y avait d'autres jardiniers aussi. Ainsi, il se tenait des expositions rue Ontario, près de Panet.
Un mot de sa famille
M. Vandelac nous dit alors un mot de sa famille. Son fils, Pacifique tient un hôtel et fait le commerce des chevaux. Un autre, Émile, tient une confiserie rue St-Paul, et possède un magasin de fruits et légumes à Québec et à LaTuque. Un troisième, Albert, qui fit un gros commerce de charbon, est maintenant malade et vit de ses biens amassés. Un quatrième, Joseph, travaille avec lui-même au magasin de la rue St-Paul. Sa fille se marie à M. D. Roberge.
(conservé par Robert Vandelac)
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