Biographie Bartley Georges
George Hartley: un contrevenant légendaire
L'alcool a alimenté, à travers l'histoire, de nombreuses controverses. Décrié par les autorités ecclésiastiques, ce «poison pour le cerveau», le fut aussi par les gouvernements de nombreux pays qui l'accusent de produire la pauvreté, la misère, l'aliénation mentale, le vice et le crime. Qu'ils aient voulu en contrôler le débit peut donc paraître tout à fait logique. Au Canada, les divers paliers de gouvernements tentent de contrôler, voire enrayer l'intempérance. Comme dans plusieurs États américains, les sociétés de tempérance se multiplient au \iv siècle et s'appuient sur des lois de plus en plus coercitives, tel l'Acte de la tempérance de 1878. Malgré cela, la consommation de boisson alcoolique continue de progresser. À preuve, dans la seule province de Québec, entre 1871 et 1875, chaque habitant consomme en moyenne, chaque année, 1,4 gallon de spiritueux et 2,2 gallons de bière. Réparti sur la population âgée de 20 ans et plus, cette proportion représente une consommation annuelle d'environ dix bouteilles de 40 onces de spiritueux et de 64 bouteilles de bière. L'Acte de la tempérance permet en outre aux autorités municipales d'imposer ses propres restrictions, qui peuvent aller jusqu'à la prohibition totale. Dans le comté de Beauce, les contrevenants sont poursuivis sur ordre de l'inspecteur des licences devant la Cour des sessions de la paix du district judiciaire de Saint-Joseph, en vertu de l'Acte des licences du Québec. Ainsi Saint-Côme de Kennebec, petite localité de ce comté, se retrouve, au cours de la décennie de 1870, assujettie à une interdiction complète de vente d'alcool au détail, c'est-à-dire en quantité moindre que trois gallons à la fois. À cet égard, plusieurs citoyens, tenant auberge de façon officielle ou officieuse, se trouvent un jour ou l'autre confrontés à la justice et doivent répondre d'accusations diverses de vente illicite de boisson. On parle alors de whisky, de rhum, de gin, de brandy, de bière et de vin. Les archives judiciaires du district de Beauce, déposées pour la période antérieure à 1945, aux Archives nationales du Québec, contiennent plusieurs témoignages d'infractions relatives au commerce d'alcool sans permis, noGeorge Bartley (1826-1915). Décédé à 89 ans, il repose dans le cimetière presbytérien du haut du Kennebec auprès de sa première femme, Hessey Armstrong. (Société historique de Saint-Théophile. Collection M. miliam-Bartley). tamment au cours de la décennie 1870. L'arrière-grand-père de l'auteure, l'aubergiste Michael Donovan, figure d'ailleurs sur la liste des contrevenants. Le plus connu d'entre eux, dans cette région, est sans contredit George Bartley. En 1871, il est recensé comme cultivateur, mais il agit aussi en tant qu'aubergiste, maître de poste et marchand. Âgé d'une trentaine d'année et marié à la fille d'un immigrant irlandais, il vit tout près de la frontière du Maine depuis l'âge de quatre ans. Pour ce singulier cultivateur, qualifié par son entourage «d'homme volontaire et déterminé», les choses se corsent cependant à l'été 1877. À l'issue d'un procès retentissant, au cours duquel Bartley aurait tenté d'intimider le principal témoin, l'accusé est trouvé coupable de vente illégale de boisson et tenu de payer sur le champ 75 $ d'amende, plus 24,70 $ de frais, soit 99,70 $. Ne disposant pas de la somme exigée, il est condamné à l'emprisonnement. Deux jours plus tard, le lundi 24 septembre, le grand connétable du district de Beauce, Joseph Groleau, accompagné de deux détectives de la Police provinciale de Québec, se présentent au domicile de l'accusé pour l'arrêter où ils sont reçus à coups de carabine. Blessés tous trois par des éclats de balles, ils optent pour un repli sur-le-champ, quitte à revenir avec des renforts. Six des meilleurs hommes de la Police provinciale se présentent en effet quelques jours plus tard près de la frontière du Maine, avec le grand connétable Groleau, pour tenter de capturer une fois pour toutes ce contrevenant récalcitrant. L'expédition tourne au drame et une fusillade visant à mettre les policiers en déroute, coûte la vie à l'un d'eux, le sergent Lazare Doré. Alimentée par deux quotidiens, Le Canadien et The Morning Chronicle, l'affaire mobilise l'opinion publique. Les Québécois s'intéressent à la fuite et à la poursuite de Bartley, à son arrestation aux États-Unis, à la fin de décembre 1877, et à son procès. George Bartley sera finalement acquitté, en juin 1878, des charges qui pèsent contre lui relativement au meurtre du sergent Doré et à divers autres chefs d'accusation entourant l'affaire. Mais tous les doutes ne sont pas dissipés pour autant. Désormais célèbre, l'aubergiste continue pendant de nombreuses années à exploiter son établissement qui demeure une escale pour les voyageurs et les bûcherons en route vers les chantiers du Maine. Et ce personnage énigmatique, qui avait su inspirer de la crainte aux uns et du respect aux autres, survit à travers sa légende. • Le récit plus détaillé de cette affaire a fait l'objet d'un chapitre dans Dorothy-Ann Donovan, Rénald Lessard et al, Saint-Côme de Kennebec, publié en 1990 par la Société historique de Saint-Côme de Kennebec. Dorothy-Ann Donovan Rédactrice-relationniste, Ville de Montréal CAP-AUX-DIAMANTS, Numéro 28 Hiver 1992 67
https://www.erudit.org/fr/revues/cd/1992-n28-cd1039702/8000ac.pdf
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