Biographie Vidal Charles



Biographie Vidal Charles

ENTRÉE EN SCÈNE DE CHARLES VIDAL

Comme on l'a vu plus haut, Charles Vidal est né à Saint Michel d'Yamaska, le 30 septembre 1794. Voici son acte de baptême :

Baptême de Charles Vidal L'an mil sept cent quatre vingt quatorze le premier Octobre a été baptisé Charles né d'hier fils de françois vidai et de genevieve turier son épouse le parain a été Charles peltier et la marraine Jeanne potvin lesquels ont déclaré ne savoir signer de ce requis suivant l'ordonnance. fr. Chrisostome dugast, ptre.

Charles était donc âgé d'environ cinq ans lorsque ses parents vinrent s'établir à Saint-Hyacinthe. Un acte de donation, passé devant Me Charles Lagorce, notaire, le 5 novembre 1814, entre François Vidal et uxor et leur fils, Charles, nous apporte une nouvelle intéressante au sujet de ce dernier. Je cite : . . . à Charles Vidal, leur fils, Mineur, maintenant milicien incorporé dans le troisième Bataillon de Milice, maintenant en quartier au Village de Saint-Hyacinthe... Un an plus tard, plus précisément le 1er octobre 1815, par acte devant Me L. Picard, notaire, Charles Vidal rétrocède la terre dont il était donataire, à ses parents, les donateurs : . . . Sieur Charles Vidal, fils, étudiant à SaintHyacinthe. Lequel se trouvant dans l'impossibilité de soutenir et exécuter les charges et obligations dont il est contable envers monsr françois Vidal et dame genevieve turier, son épouse, ses père et mere, par acte de donation reçu devant Mtre Lagorce, Notaire, en datte du cinq novembre mil huit cent quatorze, vu son infirmité ayant perdu une main pendant son service dans la milice incorporée .. .

Au sujet de cet accident, notre mère (fille de Clérice Vidal, elle-même fille de Charles), nous avait toujours dit que son aïeul Vidal n'avait qu'un bras lorsqu'elle le connut; mais elle ne pouvait cependant préciser l'époque où il avait perdu l'autre. Par ces deux actes, du 5 novembre 1814, et du 1er octobre 1815, nous pouvons présumer qu'il l'a perdu au cours de l'été 1815. 

CHARLES VIDAL, MILICIEN

Bien que l'acte d'engagement de Charles Vidal comme milicien demeure introuvable, nous savons qu'il servit dans la milice incorporée, comme soldat numéro 874 au 3e bataillon.22 C'est bien ce que nous dit l'acte du 5 novembre 1814, devant Me Lagorce.

Quant à l'infirmité de Charles Vidal, les procurations suivantes viennent confirmer qu'il avait bien été blessé alors qu'il était milicien, car les gouvernements n'ont généralement pas l'habitude de verser des pensions à des personnes qui n'en méritent point.

Procuration par Charles Vidal à Joseph Dorion . . .

Lequel (Charles Vidal) a fait et constitué pour son procureur Général et Spécial à l'effet qui suit, la personne de Monsieur Joseph Dorion, marchand, demeurant en la Ville de Québec, auquel il donne pouvoir de pour lui et en son nom, demander et percevoir à l'avenir, tous les six mois, du gouvernement, les allouances qui lui sont accordées en conséquence de son infirmité .. .

Procuration par Charles Vidal à J. T. Drolette 24 . . .

Lequel (Charles Vidal) a fait et constitué pour son Procureur Général et Spécial à l'effet qui suit Joseph Toussaint Drolette, Ecuyer, Marchand, demeurant en la Paroisse de Saint Marc, auquel il donne pouvoir de pour lui et en son nom demander et percevoir à l'avenir tous les six mois du Gouvernement les allouances qui lui sont accordées en considération de son infirmité .. .

CHARLES VIDAL ESSUIE UN CUISANT AFFRONT

peine avait-il atteint son âge de majorité que Charles Vidal fut victime d'une aventure qui eût pu le changer en mysogyne invétéré. Voici comment : 

Décharge portant quittance par Charles Vidal à Marg. Forcier. . .

Lequel (Charles Vidal) reconnaît et confesse, par ces présentes, avoir eu et reçu tout présentement de Demoiselle Marguerite Forcier, demeurant en la Paroisse de Saint-Hyacinthe par les mains de Demoiselle Françoise Forcier, sa sœur, à ce présente et acceptante la somme de dix-neuf Piastres et quatre livres huit sols étant la dite somme pour les fraix, avances que le dit Charles Vidal a fait à la dite Marguerite Forcier en Contemplation de Mariage qui devait être célébré lundi de la présente Semaine et qui ne Ta pas été faute par la dite Marguerite Forcier de ne l'avoir point voulu .. .

Par son refus d'épouser Charles Vidal, cette demoiselle Forcier a perdu l'occasion de passer à la postérité. Errare humanum est ! Et Verdi n'étant pas encore né, Vidal ne pouvait se consoler de sa déveine en chantant la donna è mobile.

PREMIER MARIAGE DE CHARLES VIDAL

Le 25 novembre 1817, à Saint-Charles-sur-Richelieu, Charles Vidal épousait Félicité Bissonnet :

Acte de mariage : Charles Vidal & Félicité Bissonnet 

Le vingt-cinq novembre mil huit cent dix-sept, après la publication d'un ban de mariage faite au prône de notre messe paroissiale le dimanche dernier, les parties ayant obtenu dispense de deux bans de Messire Roux, vicaire général, entre Charles Vidal, aubergiste de la paroisse de Saint-Hyacinthe, où le ban a été publié, comme il appert par le certificat de Mr le curé du lieu, fils majeur de François Vidal, journalier dans la dite paroisse de Saint-Hyacinthe et de Geneviève Curier, d'une part; et Félicité Bisonet, fille majeure de Louis Bissonet, cultivateur du lieu et de Louise Girard, d'autre part ne s'étant découvert aucun empêchement ni formée aucune opposition audit mariage, nous, prêtre soussigné, du consentement des parents requis par la loi avons reçu leur mutuel consentement de mariage et leur avons donné la bénédiction nuptiale suivant le Rite prescrit par notre mère la Ste Eglise Romaine, et ce en présence de pierre Gauthier, ami tenant lieu de père, de François Vidal, frère de l'époux, de louis Bissonet, père, de Louis Bissonet, frère, d'Amable et Michel Bissonet, oncles, et d'Etienne Bissonet, cousin de Tépouse et de plusieurs parents et amis dont quelqu'uns ont signé avec nous ainsi que les nouveaux époux de ce requis suivant l'ordonnance. Charles Vidal Félicité Bissonnette Pre Gauthier P. Robitaille, ptre.

De ce mariage, sont nés sept enfants, tous baptisés à SaintHyacinthe: Geneviève-Emélie, le 8 mars 1819; Geneviève-Clérice, le 21 octobre 1821 ; Aglaée-Virginie, le 13 août 1823 ; Charles-David-Napoléon, le 4 octobre 1830; Marie-Ariadne, le 4 mai 1832; Célina, le 5 mai 1834; un anonyme, le 17 mars 1836.

Des sept enfants de ce ménage, quatre décédaient en bas âge: Geneviève-Emélie, en 1820, à 19 mois; David-Napoléon, en 1831, à 18 mois; Célina, en 1836, à 21 mois; et l'anonyme, à 2 jours. Les actes de sépulture de ces enfants sont inscrits aux registres de la seule église qui existait alors à Saint-Hyacinthe et qu'on appelle encore aujourd'hui « la paroisse ».

Félicité Bissonnet, la mère, décédait à Saint-Hyacinthe, le 22 juillet 1836, où elle était inhumée le lendemain : Inhumation de Félicité Bissonnet 

Le vingt-deux Juillet mil huit cent trente-six, Nous, Prêtre soussigné, avons inhumé dans le cimetière de cette paroisse le corps de Félicité Bissonnette, décédée la veille, âgée de trente-neuf ans, épouse de Charles Vidal, huissier de cette paroisse. Présens Joseph Fournier & Charles Benoit, qui n'ont su signer. Ed. Crevier, Ptre.

Dès cet instant, il ne restait plus de ce ménage que l'époux et trois fillettes: Geneviève-Clérice, Aglaée-Virginie et MarieAriadne, ou Orienne.

CHARLES VIDAL, HUISSIER

Vous avez vu par les quelques documents que nous avons cités que Charles Vidal a, tour à tour, été étudiant, milicien, aubergiste, négotient (sic) et finalement huissier. Si, après 1836, vous constatez avec dépit qu'il fait l'ouvrage sale d'un P.-E. Leclerc, n'allez pas vous en formaliser outre mesure, et n'oubliez pas surtout qu'il était huissier depuis 1821. De plus, comme il était manchot depuis 1815, les tâches manuelles lui étaient interdites par le fait même; il fallait donc qu'il gagnât sa vie autrement. Et il serait devenu huissier plutôt par nécessité que par inclination.

Au cours de sa carrière de chef de Police, M. Leclère eut entre autres limiers à son service, Alexandre Comeau, Simon Lespérance, Charles Vidal et le fameux Félix Poutre.

Pierre-Edouard Leclerc était chef de police à Montréal. Sa juridiction paraît s'être exercée avec zèle dans notre district, grâce aux services de Simon Lespérance, Amable Loiselle, Comeau, Ch. Vital (sic), dont les noms rappellent de cuisants souvenirs dans quelques familles.

Devant de telles preuves, à quoi bon nier le fait, surtout lorsque vous tombez sur un document comme celui dont je vous donne tout de suite communication : 

Dépausission de Vidalle contre George Auge 31 Pardevant moi est comparu Charles Vidal Conétable dûment apointé pour la paroisse de St Hyacinthe, lequel après cermant prêté sur les saints Evangiles dit et affirme que vers les trois heures de l'après midy de ce jour vingt troisemme de Novembre, il se seroit rendu à St Damas à la demeure de Jean Bte Bourque, Marchand du lieu et contre lequel il étoit porteur d'un warrant d'arrêtassion pour haute trahison — et que là il s'adressa à George Auge commis dudit Jean Bte Bourque, lui demandant où étoit Mr Bourque et qu'il était porteur d'un warrant contre lui pour haute trahison, que ledit George Auge lui dit qu'il n'avoit pas vue Mr Bourque depuis la veille et qu'il ne savoit pas où il étoit, n'en ayant pas eu de nouvelle depuis sa partance et que lui dit dépausant a été informé par deux personnes digne de foie qu'ils avoient vue Bourque dans sa cour ayant les mains dans ses poches environ un heur avant son arrivée à la maison du dit Bourque, et qu'il est sous la ferme persuasion que le dit george Auge ne lui a dit cela que dans l'intension de favoriser l'Evasion du dit jean Bte Bourque qu'alors ledit dépausant notifia le dit George Auge qu'il étoit son prisonier au nom de la raine parce qu'il refusoit de lui dire la vérité et que cela étoit cause qu'il ne pouvoit pas prendre le dit Bourque, le dit George Auge lui demanda s'il avoit un warrant pour le prendre et qu'il ne marcheroit pas sans cela, mais qu'après lui avoir dit qu'il alloit le faire attacher pour le conduire chez un magistrat, il se dessida à se laisser conduire, et le dit dépausant ne dit Rien de plus, et a signé. Charles Vidalle.

Affirmé devant moi à Saint-Hyacinthe ce vingt-trois novembre 1838. J. Benoit, J. P.

Au cours de cette étude, nous ne voulons pas vous faire un portrait inexact de Charles Vidal en omettant, par exemple, de présenter certains documents de nature à le déprécier aux yeux des siens; au contraire, nous connaissons les rigueurs de l'Histoire, et nous n'escamoterons aucun document. Libre à vous de le juger comme bon vous semblera. L'acte d'accord ci-après nous donne un autre aspect du caractère de Charles Vidal :

Accord entre J. B. Brunelle et Charles Vidal .

. . Lesquels pour éviter l'Action et demande faite par le dit Jean Baptiste Brunelle contre le dit Charles Vidal pour raison de quelques mauvaises paroles que le dit Jean Baptiste Brunelle prétend que le dit Charles Vidalle lui a dit ainsi qu'à sa femme...

Et en outre le présent accord et désistement fait moyennant la somme de Vingt Quatre Piastres et demi d'Espagne étant pour le remboursement de tous les frais et dépends fait par le dit Jean Baptiste Brunelle pour le dit Procès, laquelle dite somme le dit Jean Baptiste Brunelle reconnoit avoir eu et reçu du dit Charles Vidal et dont quittance générale.

Charles Vidal avait-il la langue trop bien pendue ? Nous serions porté à le croire. D'ailleurs, comment en aurait-il été autrement ? Pignan n'est-il pas au Midi de la France, à faible distance de La Cannebière ? Ces vertes paroles qu'il adressait aux époux Brunelle, en 1822, il a dû les répéter, quinze ans plus tard, à l'adresse des oppresseurs du peuple canadien, mais comme le plan change du tout au tout, ce qui était jadis reprehensible devint subitement louable. Ce que c'est tout de même que l'à-propos.

CHARLES VIDAL, PATRIOTE

Charles Vidal, petit-fils de François, n'avait pas oublié que son aïeul s'était battu sous Montcalm, pour la défense du Canada... Son enfance avait dû être nourrie des exploits merveilleux de cet aïeul courageux qui avait quitté sa patrie pour aller conserver à son roi, le fol Louis XV, les fameux « quelques arpents de neige ».. . Charles Vidal était Français par le sang.. . Charles Vidal était Canadien de cœur et de tête.. . Charles Vidal était un de ces hommes comme il s'en rencontre partout mais en nombre infinitésimal : un brave homme assoiffé de justice, ne craignant pas de critiquer ouvertement l'oppresseur sans se soucier des désagréments que sa conduite pourrait lui attirer.

Mr Papineau eut l'occasion de visiter il y a quelques jours Saint-Hyacinthe. A son arrivée dans ce village, les citoyens s'assemblèrent en un instant et se rendirent, musique en tête, auprès de l'homme du peuple, pour le féliciter sur sa venue parmi eux, ce qu'ils firent de la manière la plus cordiale et avec enthousiasme. Ils se rendirent ensuite dans un autre quartier du village vis-à-vis un auberge où, l'on ne sait trop comment ni pourquoi, se trouvait sir John Colborne. S'attendant sans doute à un compliment semblable à celui que venait de recevoir l'honorable Orateur, les gens de la maison ouvrirent les fenêtres, mais quel dût être leur désappointement lorsque la foule se mit à crier « Vive Papineau » « A bas Colborne et Gosford ! » Le même soir on fit au commandant des forces de sa majesté un charivari affreux. Le lendemain au point du jour sir John et sa suite décampèrent.

Les braves et dignes patriotes de l'endroit se proposaient de planter un mai sur la place publique en face de l'église de St Hyacinthe, en l'honneur du grand réformiste canadien.  

Le sang méridional de Vidal ne devait-il pas bouillir devant cet enthousiasme patriotique ? Comment Vidal pouvait-il demeurer sourd à l'appel suprême lancé par les Papineau, les Nelson, les Côté, les Girod ? Si les sommités de Saint-Hyacinthe — pour ne nommer que Boucher de la Bruère — embarquèrent pour la plupart dans cette galère, pourquoi Charles Vidal, un petit huissier de rien du tout, n'aurait-il pas été excusable d'y mettre le pied, lui aussi ?.. 

Son père et sa mère n'avaient-ils pas été fauchés par la terrible épidémie de 1832, fléau imputable à l'incurie du gouvernement anglais ? .. .

La visite de Papineau avait sans doute porté fruit puisque, le 26 novembre 1837, le clergé et les habitants de Saint-Hyacinthe signaient l'affidavit suivant :. . .

Nous, les soussignés, le clergé et les habitants de Saint-Hyacinthe, protestons de notre loyauté, promettons de conserver la paix envers le Gouvernement de Sa Majesté Britannique et nous nous obligeons d'aider à maintenir l'existence de la loi en cette Province du Bas-Canada. Fait au presbytère de Saint-Hyacinthe, le 26 novembre 1837.

(signé) Honoré Parent CHARLES VIDALLE Joseph Cabana

Affirmé devant moi à SaintHyacinthe, le 7 janvier 1838. J. Benoit, J. P.

Bien que Vidal eût promis sous son seing d'être loyal au gouvernement de Sa Majesté Britannique, il dut continuer ses activités patriotes. L'affidavit de Joseph Caouette nous en fournit une preuve incontestable:

Affidavit de Joseph Caouette - District de Montréal. 

Joseph Caouette, Cultivateur et forgeron de la Paroisse de St Hyacinthe dans le dit District après serment dûment prêté sur les saints Evangiles dépose et dit :

Que vers le cinq du mois de novembre courant un grand nombre de personnes déguisés auroient de nuit couru un Charivari dans le village et Paroisse de St Hyacinthe susdit dans la vue ostensible d'aliéner les esprits et l'allégiance des loyaux et fidèles sujets de Sa Majesté et de renverser le Gouvernement existant pour en substituer un autre, à la tête duquel on vouloit mettre Louis Joseph Papineau Ecuier. —

Que dans ce but, le dit Charivari f aisoit des visites nocturnes chez des particuliers opposés en politique à celle entretenu par le dit Louis Joseph Papineau et leurs f aisoient toutes espèces de cruauté pour les engager à joindre leur parti. —

Que le déposant ayant appris ceci auroit fait visite à ses amis fidèles au Gouvernement et auroit aussi formé un parti d'environ quatre vingt personnes armés afin de repousser le dit Charivari, au cas ou il viendroit leur rendre visite. — Que dès ce moment le dit charivari auroit cessé ses dites visites nocturnes. —

Que le déposant auroit gardé son parti armé pendant deux nuits, et auroit cessé de les rassemblés — après une conférence avec les dites parties à une assemblée tenue à cet effet, ou on avait résolu de part et d'autre de se tenir tranquille. —

Que la troisième nuit un nommé Monarque aubergiste dans le dit Village, son ami, l'auroit invité de passer un moment avec lui, ce soir la — quant le déposant y fut accompagné de Jean Baptiste Fontaine, Cultivateur de l'endroit, peu de temps après leur arrivée chez le dit Monarque, le nommé Charles Vidal et son beaufrère Pierriche Bissonnett seroient venus les y trouver vers les minuit ayant été envoyé là par le nommé Joseph Martin qui savoit que le déposant y étoit. — Que pendant la veillée le dit Vidal auroit envoyé le dit Pierriche Bissonet organiser le Charivari a ce que suppose le déposant parce qu'en sortant de chez le dit Monarque le déposant et Jean Baptiste Fontaine son associé auroient été entouré par le dit Charivari à la tête duquel se trouvoit le dit Charles Vidal, que toutes les autres personnes étoient masqués & le déposant ne put les reconnaitre ; qu'ils saisirent le déposant et le dit Jean Bte Fontaine et leurs firent des maltraitemens afin de leur faire crier « hourra pour Papineau » ce que le déposant refusa de faire ainsi que le dit Fontaine qu'ils promirent de les mettre en liberté s'ils vouloient ainsi crier — qu'ayant persisté à ne pas vouloir crier pour Papineau on lia et garotta le déposant avec une paire de guide qu'on lui passa autour du Col et le traina en prison ainsi que le dit Fontaine ; Arrivé à la prison les portes souvrirent et on y logea le déposant ainsi que son associé.

Qu'il ne fut pas gardé longtemps en la dite prison, ou on le délia, et il s'en retourna chez lui.

Que le gardien de la dite Prison se nomme Godefroye Rainault dit Blanchard, huissier du même lieu.

Et le déposant ne dit rien de plus et a déclaré ne savoir signer et a fait sa marque lecture faite.

sa Joseph X Caouette marque

Assermenté pardevant moi à Montréal, ce 23 Novembre 1837. (signé) R. Hart, J. P.

L'affidavit de Jean Fontaine corrobore celui de Caouette:

Affidavit de Jean-Baptiste Fontaine - District de Montréal

Jean-Baptiste Fontaine Cultivateur de la Paroisse de St Hyacinthe dans le dit District après serment duement prêté dépose et dit qu'il y a quelques moments, étant dans l'Office de la police, ce vingttroisième jour de Novembre courant, il étoit présent quand le nommé Joseph Caouette Cultivateur & forgeron du lieu susdit, a fait sa déposition ci annexée, laquelle contient la Vérité, tous les faits y mentionnés étant à sa connaissance personnelle.

Et le déposant ne dit rien de plus et a signé, (signé) Jean Fontaine Assermenté de devant moi à Montréal, ce 23 Novembre 1837. (signé) R. Hart, J. P. 

La supercherie de Vidal était enfin découverte. Vidal était pris à son jeu de cache-cache. Le fameux P.-E. Leclerc émettait, le 6 décembre 1837, un mandat d'arrestation contre lui:

Peace Office 38 Province of Lower Canada District of Montreal

Pierre E. Leclerc, Esquire, one of the Justices of our Sovereign Lady the Queen, assigned to keep the Peace within the said District;

To the High Constable, all other Constables, Peace Officers and others, the Ministers of our said Lady the Queen, within the said District and to every of them, GREETING ;

WHEREAS Charles Vidal, of St Hyacinthe and District aforesaid, labourer stands charged upon Oath with the Crime of High Treason ;

THESE ARE THEREFORE to authorize and command you, or any of you, in Her Majesty's name, forthwith to apprehend and bring before me the body of the said Charles Vidal to answer to the said charge, and to be further dealt with according to law. Herein fail you not.

Given under my Hand and Seal at Montreal, this Sixth day of December in the first year of Her Majesty's reign.

(signé) P. E. Leclerc,

CHARLES VIDAL SE LIVRE AUX TROUPES ANGLAISES À SAINT-HYACINTHE

La tradition familiale veut que Charles Vidal, en sa qualité de huissier, ait eu vent de rémission de ce mandat. Pour une fois, la tradition familiale n'erre point. Vous avez remarqué que le mandat d'arrestation était daté du 6 décembre. Dans son examen volontaire, Vidal dit bien qu'il s'est livré le 5 décembre ! la veille de l'émission du mandat. Or, comment les troupes auraient-elles pu l'arrêter avant le 6 décembre, sans aucun mandat ? Et pour mieux berner ceux qui venaient l'appréhender, Vidal préféra se livrer lui-même aux troupes alors en garnison à Saint-Hyacinthe. C'est ce qu'il déclare dans le procès-verbal de sa comparution, devant Wm. Hall, à Montréal:

Examen de Charles Vidal - District de Montréal

L'Examen Volontaire de Charles Vidal, commerçant, de la paroisse de St Hyacinthe, dit et déclare ce qui suit : Je suis âgé de quarante deux ans. Je suis Veuf et ai trois Enfants. Je sais lire et écrire. J'ai été pris à St Hyacinthe le cinq de Décembre dernier m'étant livré au Député Sheriff qui accompagnait les troupes. J'ai assisté à l'Assemblée de St Charles tenue le 23 octobre dernier par Hasard. J'y suis resté jusqu'au moment ou j'entendis le Dr Côté dire que ce n'était plus le temps d'envoyer des requêtes mais des balles, après cela je m'enfus. — 

Je fus invité l'automne dernier par le nommé Thompson, tailleur de St Hyacinthe de me rendre un soir à la prison ou je fus — je vis là Lucien Archambault, Dr Thomas Bouthillier, Eusèbe Cartier, Dr Pierre la Bruère, Alexis Delfosse, Jean François Têtu, Thomas Marchessault et quarante à cinquante autres personnes — le dit Thompson y était aussi — le but de ce rassemblement était de courir un Charivari à Mr Deprés que Ton disait avoir coupé un poteau surmonté d'un bonnet de liberté, qui avait été planté en l'honneur de Mr Papineau.

Le dit Thompson était dans une Chambre à la prison et m'administra un serment me liant à tenir secret ce qui se passerait à l'Assemblée le soir. —

Thompson avait un Evangile sur laquelle il y avait un Crucifix. Le même Soir, le Charivari fut couru à Mr Després par les gens de l'Assemblée susdite qui étaient déguisés — j'y assistai aussi mais point déguisé. Le Charivari fut couru le lendemain mais je me refusai d'y assister.

(signé) Charles Vidalle Reconnu devant moi à Montréal, ce 20e Février 1838.

(signé) William Hall, J. P.

Ce dont on accusait Vidal était toutefois trop bénin pour lui mériter l'échafaud. Il fallait trouver un chouayen qui, pour les trente deniers bibliques, consentît à accuser Vidal de fautes plus accablantes. On dénicha l'oiseau dans la personne de Joseph Tétreau:

Dépausissions de Joseph Tétreau - District de Montréal

Joseph Tétreau journalier de St Hyacinthe après avoir été duement assermenté sur les Saints Evangiles jure depose & affirme :

Que le vingt troisième jour du mois de Novembre dernier le Déposant étant dans la maison de Jean Fontaine dit Bienvenue, cultivateur de St Hyacinthe, le nommé Charles Vidalle entra dans la dite Maison et était accompagné de Magloire Turcotte, Pierre Grenon, Jean Bte Saint Onge de St Césaire, Hilaire Grenier, de St Hyacinthe ;

Qu'en arrivant chez le dit Bienvenu Charles Vidalle demanda s'il y avait des fusils et ou étaient ils et il entra dans la maison pour en chercher qu'il n'en put trouvé qu'un seul qui fut pris par lui Vidalle et remis au dit Grenier ;

Qu'en laissant la maison du dit Jean Fontaine Lucien Archambault & Charles Vidalle demandèrent à lépouse du dit Bienvenu ou était Son mari, elle leur dit qu'il était absent et cherchez-le, nous le rejoindrons bien dirent ils et si nous le trouvons nous lui serrerons les flancs, et ils laissèrent la maison de Bienvenu pour se rendre à St Charles.

Le déposant ne dit rien de plus et déclare ne savoir signer lecture faite.

sa Joseph X Tétreau marque

Affirmé devant moi à St Hyacinthe, le Janvier 1838. (signé) J. Benoit, J. P.

Cette fois, il n'y avait plus d'erreur possible: Charles Vidal avait volé des fusils pour s'en servir éventuellement contre l'autorité constitutionnelle. Vidal ne riait plus, et il y avait de quoi !

INTERCESSION DE SES FILLES ET DU CLERGÉ MASKOUTAIN

Les enfants sont la richesse d'un foyer. Ils sont cependant une fière hypothèque quand le père voit se dresser, dans la fenêtre de son cachot, la silhouette sinistre de l'échafaud !.. . Ceux qui ont connu Clérice Vidal, fille du patriote (notre aïeule maternelle), sont demeurés frappés de la détermination, de la résolution et du courage qui semblaient émaner de sa personne. Elle avait du cran; elle allait le montrer à tous. Le 17 mars 1838, les orphelins Vidal faisaient tenir une lettre (écrite par Geneviève-Clérice elle-même) à l'honorable Ogden, demandant l'élargissement de leur père: 

Lettre des orphelines Vidal à Thon C. R. Ogden

Qu'il soit permis à trois jeunes orphelines qui voient leur cher père dans la prison du district de Montréal, sous prévention de fautes politiques, d'exposer à l'Honorable Ogden Procureur Général leur profonde tristesse et le besoin qu'elles éprouvent de la présence de leur tendre père, lunique soutien de leur enfance. En décembre dernier, elles eurent le chagrin de voir emprisonner leur père, et demeurèrent depuis ce temps abandonnées à elles mêmes, avec le peu que leur père possédait alors; que les soussignés ne prétendent point entrer dans la justification de la faute commise par leur père, d'avoir pris part à l'agitation du temps, mais sollicitent uniquement la bonté et l'indulgence du gouvernement de sa gracieuse Majesté à légard de l'auteur de leur jour et celui qui est leur seul soutien présentement, et elles le revendicquent à nom de l'humanité souffrante dans leur personne plus en particulier dans celle de leur petite sœur encore incapable de pourvoir à ses premiers besoins.

Les suppliantes espèrent donc en la miséricorde du gouvernement et prie instamment l'Honorable Ogden Procureur Général de leur rendre leur père qui sera encore un bon et fidèle sujet de Sa Majesté.

Et les soussignées conserveront toujours le souvenir de cette inappréciable faveur.

(signé) Clair Vidal Aurélie Vidal Saint-Hyacinthe, le 17 mars 1838.

Trois jours auparavant, six membres éminents du clergé maskoutain avaient fait tenir une semblable requête à l'honorable Ogden:

Certificat en faveur de Charles Vidal

Nous, les soussignés de la paroisse St Hyacinthe déclarons & certifions que Clarisse et Amélie Virginie Vidalle, filles de Charles Vidalle, de la paroisse susdite, maintenant incarcéré dans la Prison de Montréal, n'ont au meilleur de notre connoissance d'autre soutien que leur père, qu'elles sont orphelines de mere depuis près de deux ans.

Saint-Hyacinthe, 14 mars 1838.

(signé) E. J. Crevier, Ptre. J. S. Raymond, Ptre. J. C. Prince, Ptre. G. Marchessault, Ptre. J. La Rocque, Ptre. L. O. Deligny, Ptre.

CHARLES VIDAL EST GRACIÉ

Vidal a donc été détenu dans la prison de Montréal, à partir du 7 décembre 1837 jusqu'au 17 mars 1838 (date de la lettre de ses fillettes), au moins. Pourquoi ne fut-il pas exécuté tout de suite après l'accusation de Joseph Tétreau ? C'est que Vidal était veuf et père de trois fillettes. En pendant Vidal, du même coup, on jetait sur le pavé, sans aucune protection, trois orphelines, dont la plus jeune n'avait que cinq ans. Le gouvernement anglais était déjà en quelque sorte responsable de la mort des parents de Charles Vidal, victimes de l'épidémie de 1832. S'il avait mis à mort ce fils de ses victimes, la coupe de l'iniquité eût été pleine ! Et puis, le crime dont on accusait les patriotes était-il aussi grand qu'on se l'était d'abord imaginé ?.. .

Vidal ne fut point mis à mort. La requête de ses filles et celle du clergé maskoutain eurent pour effet de faire gracier le rebelle. 

La conduite du gouvernement s'était tellement adoucie à l'égard des patriotes que Vidal reprit son ancien poste de huissier. Il était même connétable au recensement de 1851.

DÉCÈS DE CHARLES VIDAL

Charles Vidal s'éteignit à Saint-Hyacinthe, le 10 mars 1876. Voici son acte d'inhumation: 

Inhumation de Charles Vidal

Le treize mars mil huit cent soixante-seize, nous, prêtre curé d'office, soussigné, avons inhumé dans le cimetière de cette paroisse, le corps de Charles Vidal, rentier de cette paroisse, veuf de Sophie Jarret dit Vincent, décédé le dix du même mois, à l'âge de quatre-vingt-un ans. Présents à l'inhumation Joseph Simard, Jean-Baptiste Plamondon, qui ont déclaré ne savoir signer, et F. X. Frédéric, soussigné. F. X. Frédéric M. Decelles, Ptre. C.

Il fut inhumé à l'ancien cimetière de la cathédrale. Aucune pierre tombale n'indique au passant l'endroit où repose sa dépouille mortelle transportée, en 1882, au nouveau cimetière, le long de la rivière Yamaska.

LES PATRIOTES

En certains milieux, les patriotes de '37, — justement ceuxlà qui ont joué leur tête pour nous conserver nos privilèges les plus chers: droits, langue, institutions, — en certains milieux, disons-nous, les patriotes de '37 ont mauvaise presse. Quels préceptes philosophiques peut-on invoquer pour condamner ainsi les quelques Canadiens français qui ont vaillamment réclamé leurs droits à la face de l'oppresseur ?

Ici, la question de droit doit primer toute autre considération. S'il est vrai que le conquérant opprimait les Canadiens français (la chose a été savamment prouvée par Filteau dans son Histoire des Patriotes), fallait-il que les Canadiens français se laissassent tondre sans rien dire ?

Après avoir épuisé les ressources de la représentation respectueuse, n'étaient-ils pas en quelque sorte excusables de recourir à des moyens plus vigoureux ?

Les insurgés de '37 étaient peut-être des têtes chaudes, nous l'admettons, mais ils n'étaient sûrement pas des lâches ! 

AU TEMPLE DE LA RENOMMÉE

Nous croyons vous avoir soumis assez de documents authentiques pour prouver que Charles Vidal a pris une part très active à la rébellion de 1837. D'ordinaire, traîne-t-on devant la justice, pour crime de haute trahison, un citoyen qui vit paisiblement dans son foyer ? Ce que les Anglais ont dû trouver « shocking », c'est que Vidal avait d'abord été milicien, puis officier de justice; de plus, à l'époque de la rébellion, Vidal ne recevait-il pas une pension du gouvernement par suite de l'accident qui lui était survenu alors qu'il était milicien ?

Si nous admettons que Vidal fut un « tout petit » rebelle, nous nous expliquons difficilement sa longue détention au Pied du Courant, — du 7 décembre 1837 au moins jusqu'au 17 mars 1838, — quand on relâchait un Boucher de la Bruère, à l'automne de cette dernière année, après seulement quelques semaines de détention. En gardant Vidal si longtemps dans la geôle commune, le gouvernement ne laissait-il pas supposer qu'il considérait Vidal comme un otage précieux ? Pourquoi Aegidius Fauteux ne parle-t-il pas de Vidal ? C'est qu'il n'avait pas en mains tous les documents qui se rapportent aux événements de '37. De même, ceux qui ont collaboré à son ouvrage ne semblent pas avoir pris connaissance de certains documents conservés au Musée provincial. D'ailleurs, on dit bien dans la préface de ce volume que

Il (M. Félix Leclerc) n'a pas cru devoir conserver le titre primitif de Dictionnaire, qui aurait suggéré une œuvre complète... Plus loin,

il est question de mandats d'arrestation : 16 novembre — arrestation. Vingt-six mandats d'arrêt sont décernés, dans le district de Montréal, pour crime de haute trahison ou menées séditieuses.

Pourquoi ne parle-t-on pas des mandats émis le 6 décembre, date du mandat contre Charles Vidal ? Y en eut-il d'autres, cette journée-là ? Si P.-E. Leclerc prend la peine d'émettre un mandat uniquement contre Charles Vidal, vous voyez d'ici l'importance du crime de Vidal.

Toujours dans l'ouvrage de Fauteux, on dit :58 Pendant la première insurrection, 501 personnes furent incarcérées à Montréal pour faits de trahison ou menées séditieuses .. .

Pourquoi Fauteux ne fournit-il pas la liste de ces 501 prisonniers, plus importante que celle des prisonniers de 1838, puisque Garneau et Bruchési conviennent que la rébellion de 1838 ne fut que l'ombre de celle de 1837 ? On y eût sûrement trouvé le nom de Charles Vidal, prisonnier à Montréal, depuis le 7 décembre 1837.

Toujours dans Fauteux, un paragraphe a retenu notre attention :

Gore se rendit à Saint-Charles le 3 (décembre), à Saint-Hyacinthe le 4, rentra à Montréal le 7.

Or, quand Vidal dit, dans son examen volontaire : J'ai été pris à St Hyacinthe le cinq de Décembre dernier, m'étant livré au Député Sheriff qui accompagnait les troupes, on voit bien que la déposition de Vidal concorde avec les faits relatés par l'historien.

Vous avez également remarqué, dans la déposition de Vidal, qu'il a dit: m'étant livré au Député Sheriff .. . S'il s'est livré, c'est donc qu'il n'a pas été appréhendé par la soldatesque britannique. Et s'il s'est livré avant l'émission du mandat, c'est donc qu'il était sûr d'être appréhendé, qu'il avait eu vent de la chose ?

JEAN-RODOLPHE BORDUAS 

J. P. Jean-Rodolphe BORDUAS Bibliothécaire à l'Ecole de Médecine vétérinaire de la Province de Québec, Saint-Hyacinthe. 

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