Biographie Boutet Maurice
La famille d’Eudalie Hébert et de Joseph Boutet
Le grand-père de Maurice, Georges Boutet était originaire de Ste-Anne-de-la-Pérade où il s'était marié avec Eulalie Boisvert le 5 novembre 1839. Le père de Georges, François, de Charlesbourg, Québec, s'était installé aux Grondines. Comme le résume Alfred Lamirande, (Histoire de famille, Les Boutet dans les Bois-Francs, 2013) l'histoire de Georges Boutet dit Alboeuf est l'histoire pathétique d'un colon courageux et perspicace. « Georges Boutet Alboeuf fut le premier des « Boutet» à venir s'installer dans les Bois-Francs au début de la colonisation du canton d'Arthabaska avant la fondation de Victoriaville. Il naquit à Les Grondines (sur la rive Nord dans le comté de Portneuf) en 1818. Le 5 novembre 1839, il épousa Eulalie Boisvert à Ste-Anne-de-la-Pérade. Comme à cette époque, le débordement des populations dans les seigneuries le long du fleuve faisaient en sorte que plusieurs jeunes devaient s'enfoncer dans les terres pour y trouver une place pour s'établir, il décida de traverser le fleuve et de tenter sa chance plus au sud. C'est dans les Bois-Francs, à la limite des Cantons-de-l'Est qu'il se dirigea. Nous n'avons pas retracé la date exacte de son arrivée. Est-il arrivé à l'occasion de son mariage à l'automne 1839 (?). C'est possible. Cependant il serait logique qu'il ait attendu au printemps 1840 pour bénéficier de l'été pour se bâtir une cabane et s'établir. Georges Alboeuf dit Boutet arriva avec son épouse comme « squatter » c'est-à-dire sans lot concédé.
Il choisit de s'établir dans le « rang des Bras » connu aujourd'hui comme la rue Notre-Dame Est, à Victoriaville, à peu près où se situe l'École du meuble et l'intersection du Boulevard Labbé. En toute ignorance de cause, il suivit les traces d'autres colons voisins et identifia son lot complètement en travers du plan d'arpentage déjà en place dans le voisinage. Ce qui lui occasionnera plus tard, comme à tous les autres d'ailleurs, plusieurs difficultés pour l'obtention des lettres patentes accordant les titres de propriété. À son arrivée, il s'identifia du nom de Georges Alboeuf, comme en fait foi le journal de l'arpenteur Louis Legendre qui témoigne de sa présence en 1841, depuis environ 2 ans. C'est donc ce qui peut expliquer que, dans les premiers registres du Canton d'Arthabaska, on retrouve seulement le nom de Georges Alboeuf. Son lot s'étendait en diagonale, à partir de la ligne du chemin de fer, jusqu'à peu près où se situe, aujourd'hui, le boulevard Jutras Est. L'édifice de l'École du meuble est situé complètement sur l'ancien lot de Georges Boutet. Il faut se rappeler qu'en 1870, après l'avènement de la Confédération, les autorités ont émis une réglementation pour l'identification des individus, à l'effet de choisir un seul patronyme et de l'adopter pour toute identification future et spécialement pour les recensements. Après cette date, nous n'avons pas retrouvé de patronymes officiels en nom composé dans les différents registres. On peut s'imaginer facilement qu'en arrivant dans un milieu où la forêt vierge régnait en maître, on était bien loin de l'agriculture rêvée. Tout était à faire et à bâtir. Armé de sa hache et son courage, aidé par sa compagne de vie, il commença par couper des arbres pour se bâtir une cabane en bois rond. Sa première ressource fut la potasse (aussi appelée perlasse ou encore Sall). Le destin a voulu que ce soit ce gagne-pain qui le fit périr. Pour faire du défrichement et pour obtenir du sol cultivable, il continua à couper des arbres. Ce fut donc le commencement de la déforestation dans notre canton. Il faut bien se rappeler qu'à cette époque l'outillage était réduit à sa plus simple expression. C'est donc à bras d'homme que la plupart des tâches s'effectuaient. Aussi, on laissait les souches en place pour les laisser pourrir pour mieux les enlever par la suite. Le traitement du sol, comme le labourage, s'est donc fait plusieurs années entre les souches. Les semences, comme les faisait Georges Boutet, se faisaient entièrement «à la main» comme disaient les anciens. Il s'agissait surtout de céréales et de mil pour nourrir le bétail. On ne manquait pas d'avoir au moins un petit jardin potager pour récolter quelques légumes et surtout des patates. On récoltait les petits fruits sauvages, framboises, bleuets, groseilles, cerises, etc. ainsi que des pommes et des noisettes. Mais, pas de route, pas encore de moulin à scie pour vendre son bois. Le seul débouché pour bénéficier le plus possible d’un revenu, si minime soit-il, était cette potasse qu’on pouvait produire à peu de frais sans beaucoup d’outillage. Pour obtenir cette potasse, il s’agissait de faire brûler le bois dur des feuillus comme le hêtre, le merisier, le chêne, l’érable, etc. qui existait à profusion dans le canton. Ensuite, on récupérait la cendre à laquelle on ajoutait de l’eau que l’on faisait bouillir jusqu’à siccité, comme le principe de faire bouillir de l’eau d’érable pour obtenir du sucre du pays. Ce produit avait une relative bonne valeur marchande pour l’époque, mais encore fallait-il aller le livrer aux acheteurs. Deux possibilités s’offraient aux colons du canton d’Arthabaska, soit un important poste de commerce à Deschaillons et un autre à Danville, alors en plein développement, bénéficiant du « chemin Craig » pour des meilleures communications avec les grands marchés. Georges Boutet avait choisi Danville parce que semble-t-il (selon la tradition orale) le prix était meilleur et le troc plus facile pur se procurer les produits de première nécessité. C’était une randonnée d’environ 20 milles (aller seulement). Il faisait le voyage à pied, transportant son produit sur son dos. En même temps, il allait quérir péniblement le fruit de son travail, c’est-à-dire des effets dont il avait besoin pour se nourrir et à l’occasion certains outils. Sa besace de transport était confectionnée avec de l’écorce de bouleau et était cousue avec de petites racines. Un jour, à l’automne de 1845, en se rendant à Danville, il fut victime d’une pluie. Ce qui occasionna des dommages à sa besace au point de causer l’écoulement de son produit, de lui brûler le dos et de lui causer des plaies vives. De très mauvaises inflammations s’ensuivirent et le mal se propagea à tout son corps. Il endura de grandes douleurs jusqu’à l’été suivant alors que les plaies s’agrandirent tellement que cela lui monta jusqu’à la tête au point de lui faire sortir un œil de son orbite. Il ne s’en remit jamais et décéda des suites de ce malheureux incident. Il faut dire qu’à cette époque, les soins médicaux étaient difficiles à obtenir et que les antibiotiques n’existaient pas. Il a souffert d’atroces douleurs selon ce que rapporte l’abbé Charles Édouard Maillot. Cependant, la veille de sa mort, un voisin a demandé à M. Eustache Baril des Pointes Bulstrode de bien vouloir aller chercher le missionnaire M. l’abbé Clovis Gagnon résident à St-Norbert. Ils arrivèrent à la résidence de Georges Alboeuf dit Boutet, seulement en toute fin d’après-midi. Le prêtre lui administra les derniers sacrements tout en l’assurant de la miséricorde de Dieu. Il décéda le 24 août 1846 à l’âge de 28 ans. Il fut enterré dans le cimetière de la Chapelle du Rang du Bras. Il laissait dans le deuil son épouse et quatre jeunes enfants en bas âge dont Charles qui fit sa marque comme agriculteur émérite. Nous en reparlerons plus loin.
Au printemps 1848, la famille Boisvert-Boutet perdit un enfant du nom de Virginie comme en fait foi un extrait des registres de l’époque. « Le premier mars mil huit cent quarante-huit, nous prêtre soussigné avons inhumé le corps de Marie-Virginie Boutet, décédée le dix février et enterrée le douze par Paul Hémon dans le cimetière de St-Christophe âgée de 10 ans enfant de Georges Boutet et d’Eulalie Boisvert tous de St-Christophe. Signé : Clovis Gagnon prêtre. » Précisons qu’à cette date l’église de St-Christophe, tout comme le cimetière St-Christophe tel que l’on le connaît aujourd’hui n’existait pas. Cependant, tout le canton d’Arthabaska desservi par la chapelle du Rang des Bras, commençait à être connu sous le vocable de St-Christophe. On y avait aussi aménagé un cimetière et lors de la translation des restes en 1872, l’abbé Mailhot mentionne le nom de Virginie Boutet parmi les dépouilles.
En date du 20 octobre 1841, l’arpenteur Louis Legendre confirme dans son rapport, la présence de Georges Alboeuf comme squatter qui occupe une terre en travers des lots 9, 10 et du rang 4 et du lot 11 du rang 5 dans le canton d’Arthabaska. Comme Georges Alboeuf et tous les autres colons établis dans le rang des Bras en travers des plans d’arpentage de tous les environs, il est impossible d’obtenir des lettres patentes leur donnant un titre de propriété. Ce n’est qu’en 1859 que tous les cultivateurs squatters accordent des procurations à certains colons du groupe d’occupants pour obtenir de la Couronne la libération des lettres patentes. C’est cependant seulement en 1865 que, par acte notarié, tous les cultivateurs obtiennent un titre officiel de propriété suivant le territoire qu’ils occupent depuis plusieurs années. Pour se conformer aux lois et aux coutumes de cette époque qui voulaient que les femmes ne puissent pas accéder à un vrai droit de propriété, c’est Joseph Pothier, le 2e mari d’Eulalie Boisvert, qui reçut le titre officiel de propriété. Puis, c’est le 28 juillet 1875 que Joseph Pothier, conjointement avec Eulalie Boisvert, cèdent le bien familial à Charles Édouard Boutet. Le 21 avril 1891, Charles Boutet acquiert de Victor Lambert une terre de 53 acres adjacente à la sienne avec maison, grange et étable plus une autre parcelle de 28 acres. C’est dans la chapelle du rang des Bras inaugurée en 1843 et fermée au culte en 1850 que furent célébrés les baptêmes et messes funèbres et autres rites de passage de la famille Boisvert-Boutet. Suite au décès de Georges Boutet un cercueil bien primitif fut taillé dans un gros tronc d’arbre. On creusa dans le tronc une forme en auge dans laquelle on déposa la dépouille mortelle dans de la paille de sarrasin et on tailla à la hache une pièce de bois pour servir de couvercle.
Charles-Édouard, le fils de Georges Boutet et d’Eulalie Boisvert, pionnier de l’agriculture dans les Bois-Francs
« Le travail de l'intelligence, telle était sa manière de faire. » L'Écho des Bois-Francs, 24 mars 1906
Charles-Édouard succède à son père sur la ferme ancestrale qu’il améliore si bien, qu’en 1892, il reçoit une médaille d’argent au concours du Mérite agricole.
« Ces braves gens, est-il dit dans le rapport du Mérite Agricole de l’année 1897, en parlant de M. et Mme Boutet, ont commencé leur carrière sans ressource autre que leur bonne volonté, et avec l’énergie, une conduite régulière et de la persévérance, ils offrent aujourd’hui à leur aimable et nombreuse famille et au public en général un bien bel exemple de sage économie ».
En 1897, sa ferme compte 191 arpents de superficie, dont 125 de labourables, 66 en forêt et 1 ¾ en jardin et verger. Il cultive la terre selon le plan de rotation suivant :
1re année : labours d’été répétés sur la prairie ou sur le pâturage, selon le cas, et cultures sarclées ou des fourrages verts avec engrais;
2e année : blé, orge ou autres grains avec mil;
3e et 4e année : prairie, puis un an ou deux de pâturage.
Lorsqu’il a remporté une médaille d’argent en 1892, son cheptel se composait de 3 chevaux de travail; 2 taureaux de race Ayrshire; 2 animaux de boucherie; 16 d’élevage; 2 béliers don un Leicester, 16 brebis et 15 agneaux.
C’est un producteur laitier qui possède un troupeau de vache pure race Ayshire, mais il produit des céréales et des légumes. Il cultive huit arpents et trois-quarts de blé, deux et demi d’orge, dix-sept d’avoine, six de mélange d’avoine et de pois, un et quart de choux de Siam, un demi de carottes, un huitième de tabac, un et demi de blé d’Inde pour grain, un et demi de blé d’Inde pour ensilage, deux de patates, 3,000 choux ainsi que du panais, du céleri, du salsifis, des tomates, des choux-fleurs, etc.
Comme la coutume le veut, c’est madame Boutet qui s’occupe du jardin; elle en retire environ $300.00 par année.
____________
Référence : Musée de St-Éphrem d’Upton, Cent ans de Mérite agricole, URL : http://museestephrem.com/cent-ans-de-merite-agricole/1300-2/
Après avoir gagné la médaille d’argent en 1892, Charles-Édouard a été le premier cultivateur de la région des Bois-Francs à gagner la médaille d’or du mérite agricole provincial en 1877. Il a donc démontré son attachement à l’agriculture et surtout sa volonté de suivre l’évolution dans son domaine et même d’être avant-gardiste. La ferme héritée de sa mère plusieurs années après le décès de son père, était située dans le rang des Bras, aujourd’hui connu comme la rue Notre-Dame Est à Victoriaville (au coin du boulevard Labbé, occupé aujourd’hui par les garages Méthot, Beaudoin, Leblanc, Rondeau, Maheu, etc.).
C’est ainsi que la ferme que fut érigée la première croix de chemin vers l’an 1850.
Charles Boutet vit le jour le 9 décembre 1843. On l’a toujours appelé Charles, mais on peut voir que sur le registre des baptêmes c’est le nom composé Charles-Édouard qui apparaît. Il perdit son père à l’âge de trois ans. Sous l’initiative de sa mère et son beau-père (second mari d’Eulalie Boisvert), il fut initié très jeune aux travaux de défrichement et de mise en valeur du lot de terre familial. Il était cependant presque illettré. Ce qui ne lui enlevait en rien son intelligence et son bon jugement. Il participa à toutes les associations agricoles de son temps et aimait se faire lire des articles de revues agricoles. Charles Boutet sut surmonter les épreuves inhérentes à la vie et mener une vie bien remplie, avec le succès qu’on lui reconnaît.
Un premier mariage, le 8 janvier 1866 avec Alexcice Roberge à Ste-Sophie, leur donna deux enfants. Malheureusement, son épouse décéda après quelques années. Charles se remaria le 16 octobre 1871, avec Marie Bédard, à St-Norbert d’Arthabaska. Ensemble ils eurent sept enfants.
En 1889, sous l’impulsion d’Honoré Mercier, alors premier ministre du Québec, l’Assemblée législative adopta l’Acte créant l’Ordre du Mérite agricole qui faisait la promotion de l’évolution dans la pratique et reconnaissait le mérite des plus valeureux. Comme la province était divisée en secteur, le tour de la région des Bois-Francs vint seulement en 1892 et, dès cette année, Charles Boutet, considérant sa ferme comme exemplaire, posa sa candidature. Il gagna la médaille d’argent.
Voici des extraits du rapport des juges qui nous permet de constater son grand professionnalisme en agriculture et son désir constant de viser l’amélioration de ses méthodes :
« Le sol se répartit en trois catégories : terre forte, terre sablonneuse, et terre noire. La ferme est bien divisée et les clôtures sont assez bonnes. Les juges allouent tous les points pour la destruction de mauvaises herbes. La maison est bien adaptée pour le confort de la famille. La grange dans laquelle est l’étable des vaches et l’écurie est neuve et spacieuse. Un silo est adjoint à l’étable. Il y a un endroit où l’on fait bouillir l’eau et où on mélange la portion des animaux. C’est la grange modèle de l’endroit. Les instruments d’agriculture sont bien tenus et presque en nombre suffisant. L’augmentation et la conservation des fumiers ne laissent rien à désirer. Ordre général, bon partout. Tous les points lui sont accordés. En comptabilité, M. Boutet tient une comptabilité agricole, mais elle n’est pas assez complète. Seulement deux points sur trois lui sont alloués. L’amélioration foncière est poursuivie avec énergie telle que l’utilisation des pierres dans les chemins, le redressement des cours d’eau, des fossés et des rigoles, l’amendement du sol, les engrais verts, l’achat de 400 voyages de fumier dans la ville. La plantation d’érables au nombre de 600 est très satisfaisante. Il y avait aussi un bon troupeau d’animaux domestiques et un bon mélange de cultures.»
Les juges déclarent accorder à M. Charles Boutet 86.50 points, ce qui lui donne droit à la Médaille d’argent de l’Ordre du Mérite Agricole et lui décerne en même temps le diplôme de « Très grand Mérite ».
Il continue à travailler avec cœur, courage et conviction et, en 1897, il s’inscrit de nouveau à ce concours. Il remporte alors la médaille d’or du Mérite Agricole, le summum de la reconnaissance en agriculture au Québec.
Dans le rapport des juges, il est écrit entre autres :
« La ferme avait une superficie de 191 arpents, dont 123 arpents labourables, deux arpents en jardin potager et 66 arpents en forêts. La répartition de ses cultures se répartit comme suit : 8 3-4 arpents de beau et bon blé, 2 1-2 arpents d’orge, 17 arpents d’avoine, 6 arpents de mélange d’avoine et pois. 1 1-4 arpents de betterave à vache, 1-4 arpent de navet, 1-4 arpents de choux de Siam, 1-2 arpents de carottes, 1-8 arpents de tabac, 1-2 de blé d’Inde pour grain, 1 1-2 arpents de blé d’Inde pour ensilage, 2 arpents de patates. Dans le potager on retrouve des panais, du céleri, du salsifis, des tomates, des choux fleurs, etc. en grande quantité. La grange est une des meilleures que nous avons vues et les bâtisses en général fort bien disposée avec cave à fumier et un silo attenant, etc. Une bonne glacière et une serre chaude complètent tout ce qui est nécessaire à une ferme parfaitement exploitée. L’ordre est bon partout, cependant quelques instruments, surtout les charrues, pourraient être d’un meilleur modèle. Quant aux améliorations foncières, au-delà de 500 voyages de pierres ont été enlevés des champs et bien utilisés dans les ponts, le drainage, les bâtisses, les clôtures et dans un chemin traversant un marais de 4 à 5 arpents de largeur. L’Égouttement du sol est suffisant. Le labour est bon sans cependant être parfait. Nous nous plaisons à rappeler que ces braves gens (Marie et Charles) ont commencé leur carrière sans ressource autre que leur bonne volonté, et avec de l’énergie, une conduite régulière et de la persévérance. Ils offrent aujourd’hui à leur aimable et nombreuse famille et au public en général un bien bel exemple de sage économie.»
À cette occasion, le rapport des juges se termine ainsi :
« Nous accordons donc à M. Boutet 94. 70 points et un diplôme de très grand mérite exceptionnel, ce qui lui donne droit à la médaille d’or du mérite agricole et à nos meilleures félicitations.»
À ce moment donc, sa ferme avait une superficie de 191 arpents, dont 125 labourables, 66 en forêt. Dans son espace labourable, il comptait un verger et un jardin potager de un arpent et demi comprenant des semis de carottes, blé d’Inde, patates, panais, céleri, salsifis, tomates, choux fleurs, etc.
Son cheptel se composait de 3 chevaux de travail, 2 taureaux de race Ayrshire, 2 bovins de boucherie, 16 bovins d’élevage, 12 vaches laitières, 2 béliers (dont un Leicester), 16 brebis et 15 agneaux.
Pour son époque, Charles Boutet était déjà innovateur, car il diversifiait ses cultures pour subvenir à tous ses besoins. De plus, il fonctionnait selon un plan de rotation bien établi d’environ 6 ans (c’est-à-dire qu’il labourait et faisait des nouvelles semences selon cette rotation). Il avait de belles prairies productives pour du bon foin, et qui devenaient d’excellents pâturages à la cinquième ou à la sixième année. De plus, il cultivait environ 9 arpents en blé, 2 arpents et demi en orge, 17 arpents en avoine, 6 arpents de mélange d’avoine et de pois et 2 arpents de choux de Siam.
Charles Boutet fit aussi sa marque dans la société d’agriculture du comté d’Arthabaska. Il fit partie du conseil d’administration et en fut le président en 1895. Il participa activement aux activités et fut de son temps un exposant remarquable, par la qualité et la variété de ses produits et son élevage. Exemple, on trouve dans les registres de la Société d’agriculture qu’en 1886, il gagna le premier prix pour un couple d’oies; en 1890, il gagna le premier prix pour les pommes « fameuses » et 1891, il gagna le premier prix pour les brebis de deux ans. Nous ne pouvons pas faire autrement que constater l’évolution constante qu’il donnait à son entreprise tout en visant le plus possible l’autosuffisance.
Charles Boutet fut aussi un ardent propagandiste du Cercle Agricole de Ste-Victoire. Il participa à sa fondation en 1893 et fut élu sur le premier conseil d’administration. Cette association avait pour but de faire aimer l’agriculture et de prendre les moyens de rendre plus prospère. Les cercles agricoles furent aussi les premières formules de coopération mises sur pied dans les milieux agricoles. Ils faisaient l’acquisition, en commun, d’équipement à usage ponctuel, pour les mettre à la disposition des participants.
Au moment de son décès, le journal local de l’époque, l’Écho des Bois-Francs du 24 mars 1906, écrivait :
« La mort est venue faucher un citoyen important dans la personne de M. Charles Boutet cultivateur. Ce regretté et brave homme est décédé mardi soir, à la suite d'une maladie qui durait depuis la veille de Noël. Il s'est endormi de ce sommeil des justes qui fait présager une vie bienheureuse. Il est mort comme il a vécu en bon chrétien, entouré de sa famille et de plusieurs amis, après avoir reçu tous les secours de notre religion.
M. Charles Boutet, voilà un nom qui a un retentissement considérable dans nos campagnes. C'est le nom d'un homme modèle, d'un homme extraordinaire parmi ses confrères et qui a tenu haut et ferme l'idée du progrès, qu'il a toujours aimé et observé. Homme pratique en tout, fervent admirateur de tous ceux qui pouvaient lui enseigner quelque chose de nouveau, il cherchait par tous les moyens possibles à acquérir la science de l'agriculture. Bien qu'il n'ait reçu aucune instruction dans son bas âge, car dans ce temps de l'établissement de nos Bois-Francs, il n'y avait pas d'école. M. Boutet suivait la marche progressive de l'agriculture en se faisant lire les journaux d'agriculture par ses enfants, en assistant aux conférences données par des hommes d'expérience.
Il a été un des plus zélés fondateurs de notre cercle agricole de Ste-Victoire. Il était toujours présent, le premier arrivé, et attentif à tout ce qui se passait. C'était un esprit inquisiteur, cherchant toujours à approfondir quelque sujet qui l'intéressait pour l'avancement de sa ferme, ou même en communiquant à ses confrères le résultat de ses expériences. Nous pourrions dire que ses expériences ont été d'une utilité marquante dans nos campagnes. Ce que M. Boutet faisait, il le faisait bien. La ferme qu'il a améliorée est certainement l'une des plus belles de nos campagnes.
Le 25 février 1893, le ministère de l'Agriculture décernait à M. Charles Boutet une médaille d'argent et un diplôme d'honneur et de mérite à la suite d'un concours très sérieux qu'il eut alors dans notre comté pour les fermes les mieux tenues. C'est un honneur qui restera attaché au nom de cet homme de bien, de cet homme ami du devoir et de ses concitoyens. Nous disons ami du devoir et de ses concitoyens et nous avons raison. Qui de tous ceux qui l'ont connu, peut dire que M. Charles Boutet n'était pas toujours au poste! Les petites heures du jour le voyaient à son champ. Toujours au travail, toujours marchant avec cette fermeté intelligente qui donnait à chacune de ses actions des effets pratiques, il a laissé pour ceux qui restent, un exemple qu'il est bon de suivre. Le travail de l'intelligence, telle était sa manière de faire.
Quant à ses concitoyens, il serait bien difficile de trouver l'homme qui n'a pas admiré ce brave homme ou qui lui voulut le moindre soupçon de mal. Il ne pouvait en être autrement; ses concitoyens il les aimait et les considérait tous. Toujours content, toujours souriant, toujours prêt à rendre service, il n'y avait rien de plus agréable que la compagnie de cet homme pratique. Vous pouviez converser des heures avec lui quand il s'agissait de l'agriculture, son sujet favori qu'il entourait d'une dévotion spéciale.
Il était cultivateur et il appartenait à cette catégorie intelligente d'hommes qui croient que l'agriculture est la plus noble profession, quand elle est pratiquée d'une manière intelligente.
Non seulement M. Boutet était un cultivateur pratique, il était aussi un chrétien pratique, un homme pour qui la religion marchait de pair avec sa profession de cultivateur. Tous les dimanches, M. Charles Boutet se rendait à bonne heure à l’église et il demandait au Seigneur ses abondantes bénédictions qui ont paru d'une manière évidente, le favoriser dans sa carrière.
M. Boutet est décédé le 20 mars 1906 à l'âge de 62 ans. Il est né sur cette ferme qu'il a habitée jusqu'à sa mort. Son père Georges Boutet est aussi décédé sur cette ferme et avait été inhumé dans le petit cimetière situé à la chapelle du rang des deux bras, près de l'ancienne croix. Le parrain de M. Charles Boutet avait été M. Charles Prince, autrement dit Charles Aguenne, lequel a été inhumé dans le premier cimetière de nos Bois Francs près du pont de fer de la rivière Beaudet, le long de l'embranchement des Trois-Rivières.
On ne trouve nulle part son nom inscrit sur les registres. Il a été baptisé dans ce bon vieux temps où les missionnaires passaient de temps à autre et remplissaient les fonctions de notre religion. Conséquemment, M. Boutet a été un contemporain de nos premiers colons. Il a travaillé hardiment à l’établissement de nos Bois-Francs. Il a eu à subir toutes les avanies de l'isolement dans lequel se trouvait notre campagne.
M. Boutet nous a fourni bien des renseignements sur l'histoire de ces premiers temps. Le vieux moulin Baril situé dans les pointes Beaudet, les premiers chemins, les sentiers, la vieille route de St-Christophe qui conduisait au Fort, aujourd'hui Arthabaska, les anciens portages, les dépôts de magasins en bas de la rivière Beaudet, sur la terre de M. Georges Blanchet, le vieux chemin de notre ville qui se rendait dans les pointes Métivier, ou qui se dirigeait vers le moulin actuel, les ponts de ce temps, le vieux moulin et ses propriétaires, enfin une foule de détails intéressants qu'il nous a communiqués et que nous raconterons quelques jours, ils les connaissaient très bien et sa mémoire parfaite lui permettait de nous faire le récit de ce vieux temps avec une fidélité admirable en donnant à chaque fait sa couleur, son caractère. Que de choses il a à dire sur la vie d'un homme comme M. Charles Boutet. Son nom seul nous inspire ce que nous ne pouvons exprimer d'une manière adéquate, si ce n'est que nous voyons un respect profond à tous ces citoyens intègres, progressifs, qui font tant de bien à eux-mêmes, à leur famille et à leurs confrères. Il est mort trop tôt et c'est une perte qui laissera un vide inappréciable. La foule s'est portée à ses funérailles avec ce respect instinctif qui s'inspire à la vraie source de l’admiration pour tout ce qui est bon. À ses enfants, il laisse un nom pur, un nom qui les grandira s'ils continuent ce qu'il leur a laissé d'exemples.
Ses funérailles ont eu lieu hier le 23 mars en notre église paroissiale. Les porteurs étaient ses voisins, MM Landry Reault, maire et préfet de comté, Siméon Bolduc, Xavier Labbé, Isaie Boisvert, cultivateurs. Plusieurs parents et amis du défunt assistaient aux funérailles. Les cérémonies religieuses et la musique ont été belles et dignes de ce grand citoyen. La dépouille de ce regretté citoyen repose dans notre cimetière.
Qui que vous soyez, offrez une prière à Dieu pour l'homme de bien qui nous a laissés; et quand vous franchirez l'enceinte de ces lieux de notre dernier sommeil, méditez un instant sur la vie de ces grands citoyens qui nous quittent de temps en temps et inspirez-vous de leurs œuvres pour marcher droit dans cette vie.
L'Écho des Bois-Francs se joint à tous les citoyens de notre ville et de notre campagne pour offrir à Mme Boutet et à la famille, ses profondes condoléances et consolations.»
Après sa mort, sa ferme fut divisée en deux et cédée à ses fils, Charles fils et Joseph. L'ancienne terre de Victor Lambert couvrant une superficie d'environ 80 hectares fut cédée à Charles. La partie ancestrale de la terre de Georges Boutet d'une superficie d'environ 110 acres plus une autre petite terre à St-Norbert, fut cédée à Joseph avec des conditions spéciales spécifiant avec détails que Joseph Boutet doit avoir soin de sa mère jusqu'à sa mort, comme la nourrir, la vêtir, l'héberger et l'ensevelir, etc.
Les deux frères continuèrent l'agriculture spécialisée en élevant du bétail de race pur-sang et en pratiquant des cultures de céréales bien adaptées à l'alimentation des animaux.
Les deux frères ont fait partie tous les deux de la Société d'Agriculture du comté d'Arthabaska et ont aussi fait partie du Conseil d'Administration.
Ils ont aussi fréquenté les expositions agricoles de Victoriaville et de Québec. Tous les deux s'illustrèrent de différentes façons à plusieurs prix autant avec leur bétail qu'avec leur récolte.
Marie Bédard, une pionnière
Marie Bédard, veuve de Charles Boutet, lui a survécu une trentaine d'années. Même considérée comme retraitée chez son fils Joseph, elle continua ses activités de culture et d’entretien d'un grand jardin potager.
Elle demeura très active et continua même à aller vendre elle-même ses produits frais comme en fait foi l'article de journal.
Nous reproduisons intégralement ci-bas un texte paru dans l'Union des Cantons de l'Est en 1934, deux ans avant sa mort :
« Nous avons dans notre paroisse une ancienne personne qui a vu les vieux jours de notre région. C'est Mme Charles Boutet, qui a célébré son 95e anniversaire de naissance à Noël dernier. Mme Boutet était l'épouse de ce cultivateur modèle, qui est mort, il y a plusieurs années, et la sœur de feu Charles Bédard de St-Norbert d'Arthabaska. Mme Boutet jouit d'une assez bonne santé et vit chez elle, avec sa belle-fille et la famille de cette dernière. Mme Boutet est à Victoriaville depuis des années. C'était la vraie femme forte de l'Évangile et nous croyons bien qu’en outre d'être parmi les pionniers de notre région des Bois-Francs elle a été l'une des pionnières des ventes de légumes.
Ses jardins étaient avantageusement connus, par leur qualité et l'assortiment bien partagé. C'est la mère de notre ami et coparoissien, M. Charles Boutet, aussi cultivateur, qui a aussi une belle ferme voisine de celle de sa mère. Cette vénérable femme jouit de la considération universelle, et est entourée du respect de sa famille. Elle vit tranquillement les derniers jours d'une vie bien employée, et consacrée aux intérêts de son regretté et distingué mari, feu Charles Boutet, le modèle des cultivateurs de notre région.
Nous souhaitons à Mme Boutet à l'aurore de la nouvelle année 1931 de vivre encore assez longtemps pour atteindre le centenaire de sa naissance, chose tout à fait possible, étant connu l'état de santé de cette femme admirable de santé, de vigueur. Elle demeure dans le rang des Deux Bras.
Joseph Boutet, maire de Ste-Victoire de 1921 à 1930
Joseph Boutet fut très actif dans sa communauté aussi bien dans les activités agricoles, les activités sociales, sans oublier sa participation active à l'administration des affaires publiques.
À la suite d'une grave maladie, il mourut le 4 juillet 1930, à l'âge de 57 ans, après quoi ses fils délaissèrent l'agriculture.
Joseph Boutet fut un agriculteur modèle, un cultivateur comme on disait à l'époque, qui s'est distingué par son souci d'évoluer dans l'élevage comme dans la culture. C'est ainsi que l'on retrouve plusieurs mentions spéciales dans les archives de la Société d'Agriculture du comté d'Arthabaska. Et voici quelques notes :
En 1908 Il gagna le premier prix pour les betteraves à vache
En 1911 Il gagna le troisième prix pour les oignons
En 1912 Il gagna le troisième prix pour les citrouilles
En 1916 Il gagna le premier prix pour la ferme la mieux tenue
En 1918 Il gagna le premier prix pour une pouliche de race belge de trois ans
En 1920 Il gagna le premier prix pour les patates de catégorie semence
En 1921 Il gagna le troisième prix pour les pommes « wealthy »
En 1923 Il gagna le premier prix pour une brebis un an à laine longue
Ajoutons qu'en 1924, les bovins de race « Canadienne » de la ferme de Joseph Boutet remportent tous les premiers prix sauf dans la catégorie vache un an.»
Alfred Lamirande, Histoire de famille, les Boutet dans les Bois-Francs
Eudalie Hébert, une femme de tête
Eudalie Hébert, fille de Petrus et d’Éloise Doucet, était de fière souche acadienne dont la famille était autrefois originaire de Saint-Grégoire-de-Nicolet. Théophile Hébert quittera Saint-Grégoire pour déficher une terre au cœur de la forêt des Bois-Francs. Théophile avait épousé Julie Bourgeois, elle aussi de fière lignée acadienne, à Saint-Grégoire-de-Nicolet le 21 janvier 1845.
Et comme l'écrit Bruno Hébert dans Philippe Hébert, sculpteur, pp. 9 – 10 :
« La campagne de Sainte Sophie est aujourd'hui l'un des plus beaux pays que l'on puisse rêver. Sortie on ne sait d'où, la petite rivière au Loup (aujourd'hui Bulstrode), affluent de la Nicolet, se prélasse dans la vallée entre deux talus qui retiennent de chaque côté de belles terres en damier disposées en pentes comme sur l'étalage d'un marchand. Ce n'est ni la montagne ni la plaine, mais la zone intermédiaire, le rivage de la plaine où déjà s’enracine la montagne. Au fond, à deux mille vers le sud, la barrière des Appalaches cache de sa beauté l’opulente solitude de l'arrière-pays que les gens de la vallée ne connaissent pas. Suffisamment de ciel pour se sentir libéré, assez des vallons et de torrents pour égayer le paysage; aux meilleurs endroits, des fermes et leurs dépendances.
Quelques tas de roches, au bout de clôtures de perches, une grange abandonnée, témoignent encore du passé. Un orme centenaire déploie son parasol sur la crête d'un coteau cependant que, loin des routes, sur le bout des terres, de fortes érablières encadrent le paysage. Bref, il n'est pas, au paradis de l'érable, de tableau plus typiquement québécois que celui-là.
Mais la contrée n'avait pas cette allure en 1850. C'était encore la forêt vierge que la hache des squatters avait à peine entamée. Il est vrai que depuis une dizaine d'années, quelques colons venus des paroisses riveraines du grand fleuve s'étaient enhardis jusqu'à percer dans le bois sauvage qu'on prétendait imprenable. Mais il y avait de quoi douter de la réussite d'une telle entreprise. Bâtir un pays de toutes pièces et à bras d'homme, voilà qui effraie au premier abord, même les plus audacieux. Le courage de quelques pionniers allait cependant entraîner la multitude et déjà, depuis peu, une armée de bûcherons travaillait à se tailler un nouvel univers à même le bois franc. La région que l'immense savane de Stanfold isolait des vieilles paroisses avait été envahie de toutes parts. Le chantier était d'importance. D'un lot à l'autre se répondait le han-han des coups de hache et, à tout moment, percutait le craquement d'un arbre géant que le coup de grâce venait d'achever.
Les efforts des premières semaines donnaient de voir un coin de ciel bleu et la clairière de jour en jour s'élargissait, cependant que la nuit, partout sur les collines, brûlaient de fantastiques feux de camp, de quoi faire danser les loups garous du voisinage. Cette gigantesque battue ne laissait en apparence que désolation. De la luxuriance passée, il ne restait plus qu'un paysage d'après-guerre sorte de cimetière de la forêt à épitaphes noircies, où la hache et le feu n'avaient rien épargné. Mais, l'année même, on semait entre les souches et les colons comptaient sur cette promesse pour survivre à l'hiver. La vie était rude pour ces hommes qui avaient connu la quiétude des paroisses bien en place de la région de Nicolet. C'est à l'avenir qu'ils songeaient, ces pionniers, dans ce terrible corps à corps avec la nature. Voilà ce qui les tenait au combat. Et aussi le désir plus secret de prendre racine dans un pays qui était leur et que l'étranger leur contestait.
De tout premiers établissements dataient néanmoins de quelque temps dans la région. Dès 1832, Édouard Leclerc s'était établi trois milles en aval de la petite rivière, où déjà c'est la plaine. Un granit rappelle l'événement. Il avait été rejoint par deux coparoissiens de Saint-Grégoire de Nicolet, Narcisse Béliveau et François Pellerin. Cette première tentative reçut plus tard du renfort si bien qu'en 1843, la campagne de Stanfold, Somerset et Arthabaska pouvait nourrir son millier d'habitants.»
C'est dans cette montée d'expansion colonisatrice des terres du sud des anciennes seigneuries que Théophile Hébert et Julie Bourgeois fondèrent leur famille de treize enfants.
La terre de Théophile Hébert était située plus précisément à la pointe du canton d’Arthabaska à proximité du canton d’Halifax. En 1843, Théophile et son épouse Julie Bourgeois avaient hérité du lot à déchiffrer d’un colon découragé.
Sainte-Sophie était à égale distance de trois autres bourgs du canton d'Arthabaska : Saint-Norbert, Stanfold (Princeville) et Somerset (Plessisville).
Et comme le rappelle Bruno Hébert, p. 18, la vie de colon était rude.
« La famille Hébert habitait au milieu d'une clairière une cabane de bois équarri à la hache et calfeutrée d’étoupe. L'habitation ne comprenait qu'une seule pièce fort exiguë que chauffait un poêle au milieu de la place; le grenier servait de fenil. L'été, les marmots couraient dehors toute la journée; l'hiver, faute de chaussures à se mettre, ils devaient garder la maison qui leur devenait pour lors tout un pays. Quarante ans plus tard à Paris, Philippe Hébert se souviendra de cette époque et commandera au peintre Lothé un tableau intitulé La maison ancestrale qui fixera pour la postérité le lieu béni de son enfance. Le sculpteur n'a rien oublié de la petite cabane brunie par l'été, ni de son environnement. Au premier plan, la clôture de perche et le seau à lait séchant sur un pieu… puis la vache, les cochons tachetés, la volaille… Autour de la maison, les outils qui traînent: le râteau de bois, la meule à aiguiser, le « raque » à joug… Telle était l'animation d'une fin d'après-midi d'été : la charge de foin qu'on s'apprête à engranger, l'attelage des bœufs, la marmaille qui chahute, le chien Mignon qui fait le drôle… Tout autour, une prairie neuve qu'encadre, à trois arpents, la forêt des érables et des ormes que la hache du père ira bientôt abattre.»
Eudalie avait hérité son tempérament à toute épreuve de son grand-père Théophile qui passait pour un homme capable et de bon conseil. Aussi, elle était très fière de son oncle Philippe, le célèbre sculpteur, et qui s’était illustré à Rome en Italie en 1870 comme zouave pontifical (2e compagnie du 3e bataillon) contre les troupes de Garibaldi. Son père, Petrus, était un homme simple et étant l’aîné de treize enfants, il ne s’est pas frotté longtemps le fond de culotte sur les bancs de l’école. Comme s’en souvenait Maurice, lorsque Philippe était au loin dans son studio de Paris, s’était Pétrus qui se rendait à Barre au Vermont pour commander les blocs de granite qui formaient les bases des monuments de Québec, Montréal et Ottawa. Petrus prendra la relève de la ferme à Sainte-Sophie tout en gardant ses parents pendant leurs vieux jours. C’est là qu’il mourra le 14 février 1921 à l’âge de 74 ans.
Cependant, l’histoire ne se termine pas là, car son jeune frère Antoine (né le 8 janvier 1855 à Ste-Sophie d’Halifax, décédé le 17 mai 1929 et marié à Ursule Roberge), comme en témoigne cette lettre avait l’habitude d’écrire à son frère Louis-Philippe (né le 27 janvier 1850 à Ste-Sophie, décédé à Westmount, le 13 juin 1917 et marié à Roy Marie Roy) :
Sainte Sophie, le 2 février, 1902
Cher fraire
En réponse à ta lettre du 17 janvier par rappord à ma demoiselle Rhault, j’ai tou la confiance qu’elle fera une bonne femme de cultivateur quoi que je ne la connais pas spécialement. Ils ons une bonne renommée ils sont deux fils qui m’ont l’air à être de société et ils praité de l’argen(t), mai(s) je lui doi(s) $ 175 piastre à elle et ils m’on(t) sollisité pour men fair(e) prendre $ 400 piastre mais cétai à eux deux ils ons reçu loeurs droi chacun 125 piastre de loeurs père mas je ne connai(s) pas la somme de chacun se sont des arfelins qui reste avec un(e) belle mère et cest la cousine d’Urcule (c’est-à-dire, son épouse Ursule Roberge) et elle nous fait que des louange est une maison ou les fils sonce filé travaille avec moitier traire les vaches et même atelé lé chevaux elle connaisse assé bin l’usage mais elle ne sont pas instruite ils connaisse bin mieux l’af(f)aire d’une ferme que le painau (piano ?) elle a 22 ans sis cétai un de mes garçon qui serai établi qui voudrai marier Flore Rhault (Flore Rheault épousera Lucien Hébert, fils de Louis-Philippe, le 14 avril 1902 à Ste-Sophie d’Halifax, Flore a alors 23 ans et Lucien 22 ans, ils exploiteront une ferme à Beloeil).
Je lui donnerai mon consantement Lucrece (une des jeunes soeurs de Petrus et Louis-Philippe) à louer la terre de Napoléon (le deuxième frère ainé de Louis-Philippe et d’Antoine après Petrus; il est cultivateur à Plessisville et s’est marié avec Claudia Robitaille en 1873) et la sucrerie pour 70 piastre est bon marché ils y a encore une chose que Napoléon soi résairve sis les moulin arraitrai en marc(h)e Napoléon pourai reprandre sa terre mais je ne serai aucun dangé à présan je vas te donné mon opinion sis tu le lesse marier pour faire valoire sette terre là ils lui faudrai deux chevaux 6 vache 6 mouton une trui(e) avec ces peti cochon un moulin à fandre de ce tan ici ils est aprais se faire du bois pour chaufé – sa maison, qu’il a acheté ché François Baril (il était le mari de cousine Marie Hébert, fille d’Israël, leur oncle et un des frères de leur père, Théophile) l’acord est revenu avec Honoré ils a été passé une gourné avec Léopold ils a été voire Eudalie avec Petruce et nous lui avons fait la morale pour l’acor(d) dans la paranté parce que tu m’avai(s) di(t) en allan ché matante de ne pas se gainé avec lui et depui(s) qu’il a été les revoir il semble très contant ou la famille est bin Urcule nous présente ses amitiés,
Je suis ton fraire Antoine Hébert
Bref, en corrigeant les fautes le passage sur Petrus et Eudalie se lit comme suit :
Au sujet de sa maison, qu’il a achetée auprès de François Baril, suite à l’accord il est revenu avec Honoré. Ils ont passé la journée avec Léopold et ils sont allés voir Eudalie avec Petrus et nous lui avons fait la morale au sujet de l’accord conclu dans la parenté puisque que tu m’avais dit en allant chez matante de ne pas se gêner avec lui et depuis qu’il a été les revoir, il semble très content pour le bien de la famille. Ursule vous présente ses amitiés,
Ton frère Antoine Hébert.
Le premier né d’Eudalie, Maurice, est né à Victoriaville le 29 octobre 1902. Évidemment, avec un bébé de quatre mois et demi, Eudalie ne pouvait pas se déplacer très loin de chez elle à la ferme du père de Joseph. Donc, Honoré a passé la journée avec François Baril (cousin par alliance), Léopold et sont tous allés voir Eudalie à Victoriaville avec Petrus. Antoine ne dit pas si Marie était de la partie, mais tout laisse croire que François était avec sa femme.
Cependant, Joseph n’était pas éclipsé par le pédigrée de sa femme. En plus des Hébert, la maison de Ste-Victoire était aussi régulièrement visitée d’amis tout aussi célèbres tels Wilfrid Laurier (1841 - 1919), Marc-Aurèle Côté (ou Hyppolite Wilfrid Marc-Aurèle de Foy, 1868 - 1937) et Alfred Laliberté (1878 – 1953). Maurice aimait raconter que, tout jeune, il avait été instruit des paroles et conseils de Sir Wilfrid en personne!
Maurice ne finira pas sa 8e année. Il décidera de quitter l’école à 15 ans pour aller travailler sur la ferme de son père, puis comme manœuvre auprès du contracteur général en menuiserie Henri Levasseur.
Son habilité à travailler le bois se fera si remarquer qu’il sera mis en charge des projets spéciaux.
Le terme projets spéciaux pouvait inclure toutes sortes de tâches dangereuses et ingrates comme monter sur les toits ou construire et réparer des tours d’eau. Il faut dire que Maurice n’avait pas peur des hauteurs et qu’il ne sentait pas le vertige. C’est lui qui exécutera la fine dentelle de bois qui ornera la maison de M. Letarte de Warwick, le père de son beau-frère.
Sa mère, une nièce de Louis-Philippe Hébert, l’encouragera à aller rejoindre son petit-cousin Adrien Hébert, alors professeur de peinture à l’École des Beaux-Arts de Montréal, dans le but de s’y inscrire comme élève. Maurice rencontrera Adrien à Montréal. Maurice est revenu en disant à sa mère qu’Adrien lui avait dit qu’il n’avait pas besoin d’apprendre le dessin et la peinture, car il avait déjà un don naturel. Cette affirmation laissa sa mère perplexe. Adrien Hébert ne lui avait-il pas aussi dit que s’il faisait les Beaux-Arts, il perdrait sa belle naïveté ?
Le père de Maurice, Joseph Boutet, était le premier de la paroisse Ste-Victoire à posséder une automobile, une Ford modèle T. Il menait jusque-là une vie confortable comme maire de Sainte-Victoire et sur sa terre qu’il savait exploiter, et ce, jusqu’à sa mort en 1930. Mais cette belle vie de « gentleman-farmer » passée à la ferme va quelque peu laisser le jeune Maurice, déjà rêveur incurable, sans soucis du lendemain. Malgré tout, Maurice était un garçon brillant et talentueux. Adolescent, n’avait-il pas épaté sa famille en construisant une mini-locomotive sur un rail de bois qui pouvait transporter les pommes du verger à la grange?
Suite à cette expérience sur la ferme et comme apprenti menuisier, Maurice essaiera de se distinguer et de faire sa marque. Après la mort de Joseph en juillet 1930, Eudalie va vendre la ferme familiale à un M. Provencher pour le montant de $5.000.00, une aubaine à l’époque. Puis, Eudalie va acheter une maison au 7 rue Paradis à Victoriaville.
Malheureusement, après la vie à la ferme et son expérience de menuisier, Maurice essuiera certains revers de fortune qui le mettront dans l’embarras jusqu’à la fin de la cinquantaine. Ne pouvant pas travailler, il devra se débrouiller pour gagner sa vie avec peine et misère. De 1930 à 1958, de l’âge de 28 ans à 56 ans, il devra vivre en vendant des croûtes (tableaux rapidement exécutés) et des batteries de cuisine en acier inoxydable et en travaillant comme poseur d’antennes sur les toits. Durant ces années, il peindra des milliers de tableaux à l’huile qu’il vendra de porte en porte.
Maurice achetait sa toile directement à l’usine de la Dominion Textile qui était devenue en 1929 la Drummondville Cotton Company Limited. Trop pauvre pour acheter de bonnes toiles de lin, il peignait sur des draps de coton qu’il obtenait à bas prix au cout de la manufacture. Maurice aimait beaucoup M. Laferté chez qui il allait acheter son matériel, huile de lin, pigment, bois et quincaillerie. Quand il pouvait se le permettre, il y achetait des tubes de peinture à l’huile du commerce, mais pour étirer les pigments, il faisait ses couleurs lui-même. Ainsi, il faisait son noir avec de la suie de poêle, son rouge avec de la rouille de fer et son vert avec du vert-de-gris de cuivre. Selon lui, les pigments naturels tels la betterave ou le bleuet n’étaient bons que pour en faire des teintures.
Maurice, étant surtout paysagiste, affectionnait tout particulièrement les scènes de genre impliquant des personnages. Cependant, son iconographie est simple et répétitive. Il peignait de mémoire et se servait rarement de modèle. Il puisait ses sujets et motifs dans ses souvenirs d’enfance remémorant les jours passés à la ferme. Ainsi, les compositions dépeignant des petits cours d’eau traversés de petits ponts à arches et bordés d’un chemin de terre dans un val verdoyant aux petites maisons bordées d’arbres sont les plus récurrentes dans son œuvre.
À notre connaissance, il n’existe aucune photo de Maurice peignant dans son atelier ni aucune de lui peignant à l’extérieur. La maison de la rive nord (située à l’emplacement de l’actuel Village d’antan et voisine de celle des sœurs Ellis) lui offrait tout de même l’espace pour faire aussi un peu de menuiserie, entre autres des chaloupes.
Maurice a épousé Florence Côté le 11 juillet 1927 à Ste-Victoire de Victoriaville.
À part la menuiserie, le patentage, le dessin et la peinture, Maurice avait aussi des talents de comique, de folkloriste, de conteur et de chanteur. Il n’était pas un érudit livresque mais certainement un savant du domaine de la parole vivante. Il est vrai que la famille de Maurice, originaire de l’Ancienne Lorette et réinstallée dans les Bois-francs, a longtemps été en contact avec les Hurons. Maurice, peintre autodidacte et mémoire vivante, s’est même illustré à l’émission de télévision « La Soirée Canadienne » en chantant une des vieilles chansons inédites du vieux répertoire français… Mahomet sur son cheval blanc.
Maurice disait souvent : « Tout homme qui ne connaît pas les dires et les faisances de ses aïeux ne peut se connaître à fond !»
Aussi, il se plaisait souvent à dire : « Tout ce qui est fait (ou lié) par l’homme peut être défait (ou délié) par l’homme et tout ce qui est défait par l’homme peut être refait (relié) par l’homme ».
En fait, il avait peut-être retenu l’esprit de la lettre dans la promesse faite aux Chrétiens par Mathieu (18 :18), tirée des Évangiles :
« Je vous le dis en vérité, tout ce que vous lierez sur la terre
sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera
délié dans le ciel. »
À dire vrai, ironiquement, il se moquait un peu de la promesse faite aux chrétiens par Mathieu.
Ceci dit, chez les Boutet, Maurice n’était pas le seul à avoir des talents de comique. Son frère Fernand faisait partie d’une troupe de joyeux lurons qui s’amusaient à dérider famille, amis et concitoyens. Un de ses cousins, Raoul Hébert, était passé maître dans l’art des grimaces et surprenait les inconnus qu’il approchait avec toutes sortes de contorsions du visage.
|