Biography Raymond Genevieve-Sophie
Décès Marie Geneviève Sophie Raymond
MADAME MASSON
Les funérailles de madame Masson ont eu lieu hier, à Terrebonne, avec la plus grande pompe et au milieu d’un des concours les plus imposants. Il n’y avait pas moins de mille étrangers, venus de Montréal, ou du voisinage, et le cortège funèbre comprenait près de quinze cents personnes.
Un train spécial avait emporté, à huit heures et demie, hier matin, les invités de Montréal, au nombre de trois à quatre cents, et il y avait des représentants de toutes les parties du comté de Terrebonne et du district environnant. On était venu de tous les points où s’est exercée pendant si longtemps la munificence charitable de madame Masson.
Le cortège se mit en marche à dix heures et quart, et quitta le château pour se rendre à l’église.
Le deuil était conduit par l’honorable M. L. R. Masson, et par son frère, M. J. Masson, ainsi que leurs enfants. Les coins du poêle étaient portés par les honorables MM. Chapleau et de Boucherville, et MM. E. Barbeau, G. M. Prévost, A. Dumas et J. Oliva.
On remarquait en outre, parmi les personnes présentes, les honorables MM. Trudel, Thibodeau, Bellerose, sénateurs; Taillon, orateur de la chambre d’assemblée; Beaudry, maire de Montréal, Archambault, Ross, Lacoste, conseillers législatifs; Beaubien, Desjardins, MP, Thomas White, MP, Marion, et un grand nombre d’autres citoyens distingués.
La levée du corps fut faite, à la porte de l’église, par le R. P. Turgeon, S.J.
Mgr Grandin, évêque de Saint-Albert, officia à la messe, assisté de M. l’abbé Gratton, curé de Mascouche, confesseur de madame Masson, et de MM. les abbés Tanguay et Dumesnil. Le choeur du Gésu, avec orchestre, était à l’orgue et exécuta, sous la direction de M. Couture, la messe de Requiem de Cascioli.
Mgr l’évêque de Montréal assistait au trône, et fit lui-même l’absoute.
Outre les deux prélats, on voyait dans le choeur les ecclésiastiques dont voici les noms: les RR PP Ferrare, S J, chapelain du couvent du Sacré-Coeur, Jones, S J Bélanger et Michaud, de l’asile des Sourds-Muets du Mile-End, Bernard, O M I; et MM. les abbés Labelle, curé de Saint-Jérôme; Picard, du Séminaire de Saint-Sulpice; Nantel et Labonté, du Séminaire de Sainte-Thérèse; Villeneuve et Gaudet, du Collège de l’Assomption; Gratton, curé de Mascouche; Demers, de Sainte-Anne des Plaintes; L. J. Lauzon, chapelain de la prison des femmes; Leclaire, de la Longue-Pointe; Huot, de Saint-Paul l’Hermite; Dumesnil, de Saint-Hyacinthe; Mathieu, de Saint-François de Salles; Vaillant, de Montréal; Brault, de Sainte-Sophie; Brosseau, de l’Épiphanie; Prévost, de la Côte Saint-Paul; Lévêque, du Sault-au-Récollet; Piché et Viger, de Terrebonne, etc., etc.
L’église était tendue de superbes décors de deuil, dignes d’une église de ville, et encombrée de fidèles.
Après l’absoute, le cercueil fut descendu dans la crypte de la famille Masson, au dessous du banc seigneuriale, et déposé à l’endroit même où reposaient déjà les restes de feu l’honorable M. Masson.
Madame Masson laisse à Terrebonne et dans le district de Montréal un souvenir qui ne s’effacera pas de longtemps et que la génération actuelle transmettra à la génération suivante. On a la preuve de ce qu’elle était, du rôle qu’elle jouait, dans l’éclatante démonstration qui vient d’avoir lieu et dont aucune femme, dans notre pays, n’avait encore été l’objet.
==============================================================================
Les héritiers de sa fortune sont ses enfants et petits-enfants:
M. Armand Masson et Mde de Chastenay, de Paris, enfants de feu M. Wildrid Masson, qui était l’aîné de la famille;
M. Joseph Edouard Masson et M. René Masson, de Terrebonne, enfants de feu l’honorable M. Edouard Masson, ancien conseiller législatif, le deuxième fils;
M. Jean Paul Masson, de Terrebonne, le troisième fils;
L’honorable M. L. R. Masson, sénateur, ex-ministre fédéral, de Terrebonne, quatrième fils;
M. Louis Masson de Terrebonne, cinquième fils;
Les deux jeunes enfants de feu M. Henri Masson, de Montréal, sixième fils;
Mme E. Bossange, et
Mme Léon Douvreleur, de Paris, fille de la défunte.
Le bien de chacun des huit chefs de famille est évalué à trois ou quatre mille louis de revenu.
============================================================================
Ceux qui ne connaissaient qu’imparfaitement madame Masson peuvent se demander avec quelque étonnement, en présence d’une pareille manifestation, ce que la vie de cette femme offrait de si extraordinaire pour rassembler autour de son cercueil une telle réunion de sommités ecclésiastiques, politiques, sociales, à côté de cette masse de populaire. Ceux qui, au contraire, ont connu et put apprécier la noble morte, ne sont aucunement surpris et trouvent l’explication de ce qui arrive dans le caractère élevé de la haute position et dans les actes de madame Masson.
C’était vraiment une femme distinguée, dans la plus forte exceptation du mot. C’était une grande dame et une grande chrétienne, et ces deux qualités se manifestaient et se fondaient si bien en elle qu’on pouvait la considérer comme la personnification de l’une et de l’autre.
Restée, après la mort de son mari, à la tête d’une grande fortune – la valeur de la succession Masson se chiffrant par environ deux millions de piastres, ou dix millions de francs – madame Masson commença immédiatement à jouer un rôle remarquable qu’elle a rempli jusqu’à sa mort sans se démentir un instant, avec une fermeté d’action, une hauteur de vue, une sûreté de jugement qui ne se rencontrent guère à ce degré chez les femmes. Elle se donna pour mission de faire le bien, le plus de bien possible, d’être utile aux autres dans la mesure que permettaient ses grandes ressources, comme si elle n’eût accepté son immense fortune qu’à titre de dépôt qu’elle devait faire fructifier pour le ciel; comme si véritablement elle n’eût été que l’administratrice de cette fortune pour les pauvres et pour les institutions charitables. Pour trouver à la comparer sous ce rapport, il faut remonter au temps des femmes héroïques dont les grands noms sont liés à l’établissement de la colonie et dont les fondations admirables ont traversé les siècles.
Sait-on combien d’établissement religieux ou charitables elle a fondés ou fortement aidés? Il y a entre autres:
Le collège Masson;
L’asile des sourds-muets du Mile-End
Le couvent de la Providence à Saint-Vincent de Paul;
L’église actuelle de Terrebonne;
Le nouveau couvent de la Congrégation à Terrebonne;
Le nouvel asile des Sourds-Muets à Terrebonne;
Le couvent de Mascouche, etc., etc.
Elle a coopéré, de plus, à une quantité d’autres oeuvres, et entre autres aux missions sauvages du Nord-Ouest, pour lesquelles cette admirable femme n’a pas donné moins de deux mille piastres. Aussi les missionnaires de là-bas étaient-ils dignement représentés hier par un de leurs chefs mêmes, l’officiant à la messe funèbre, Mgr Grandin, le vieil ami de madame Masson et l’un des principaux dispensateurs de ses charités.
Les sommes versées aussi par elle entre les mains de Mgr Taché, et que celui-ci a placées au Manitoba, ont tellement fructifié depuis que leur provenance vaut aujourd’hui près d’un million, par suite du développement de ce pays, et servent au dévoué archevêque de Saint-Boniface à fonder de nouveaux établissements.
Peu de temps avant de mourir, madame Masson avait encore donné une somme considérable aux commissaires d’écoles de Terrebonne, pour aider à la création d’un nouveau collège commercial. Elle avait donné aussi cent arpents de terre pour l’asile des sourds-muets de la même localité.
Elle donnait toujours et sans cesse, du reste, à tous ceux qui s’adressaient à elle et qui méritaient ses secours. Elle était associée aux oeuvres multiples de Mgr Bourget dans le diocèse de Montréal, et était restée jusqu’à la fin en grands rapports d’amitié avec ce pieux et vénérable prélat, qui l’a assistée dans ses derniers moments.
À Terrebone, autour d’elle, elle répandait à profusion ses bienfaits. Elle était le refuge des malheureux et des pauvres. Jamais on ne s’adressait à elle en vain. Jamais elle ne refusait de soulager une infortune. Elle nourissait les indigents, soignait ou faisait soigner à ses frais les malades pauvres, veillait sur la paroisse comme si Dieu l’eût chargée de pourvoir aux besoins de tout ce qu’il y avait de nécessiteux et d’infortunés.
C’est en ces oeuvres, à ces largesses qu’elle étendait à tout le district et même au Nord-Ouest, que passait la plus grande partie de ses revenus de millionnaire. Elle faisait cultiver, en arrière de sa demeure, deux vastes fermes, dont le produit aller tout entier aux couvents de Mascouche et de Saint-Vincent de Paul. Elle a fait instruire nombre de jeunes gens pauvres de sa paroisse, et a protégé d’autres qui ont fait depuis leur marque dans la société. Elle était, en un mot, la grande bienfaitrice, la providence de cette région.
Elle vivait elle-même largement, mais sans aucune ostentation, dans le splendide château qui lui servait de demeure et qu’elle habitait avec sa soeur, Madame Deschambault. Ce château, à six lieues de la ville, est assurément la plus belle habitation de campagne du pays, sans excepter Spencer Wood, résidence du lieutenant-gouverneur, ni Rideau Hall, résidence du gouverneur général. Il mesure cent cinquante pieds de long sur soixante-quinze de large. Il est à trois étages anglais et en pierre de taille. L’intérieur est d’une grande somptuosité, distribué et décoré avec un goût exquis, et une richesse du meilleur goût. Il a coûté près de quatre-vingt mille piastres. Il est pourvu d’une usine à gaz spéciale et d’une fournaise à eau chaude. Madame Masson y avait un riche oratoire, orné de tableaux de maîtres d’une grande valeur, et où M. l’abbé Gratton, son confesseur, diait la messe fréquemment.
On dit que cette aristocratique demeure a été léguée par la défunte aux Soeurs de la Providence. Ce serait un dernier don à placer sur la liste de ceux qu’elle a faits de son vivant.
Est-il possible de trouver une existence de femme aussi dignement remplie, si ce n’est parmi celles dont la religion transmet le souvenir aux fidèles et qu’elles leur offrent comme modèles à suivre.
Madame Masson avait reçue du Ciel la richesse matérielle. Mais elle avait aussi reçu la richesse de l’âme et de l’intelligence, la richesse du coeur, qui ont fait qu’elle s’est servi de ses biens que pour les autres. Les riches comme elles sont plus que rares.
===============================================================================
|