Biographie Mathieu Michel
Tiré du Dictionnaire Biographique du Canada
MATHIEU, MICHEL, notaire, avocat, homme politique, éditeur, juge et professeur, né le 20 décembre 1838 à Sorel, Bas-Canada, fils de Joseph Mathieu, cultivateur, et d’Edwige (Hedwige) Vandal ; le 22 juin 1863, il épousa à Sorel Thirza Saint-Louis, fille de feu Augustin Saint-Louis et de Joséphine Désaulniers, puis le 29 octobre 1871 dans la même ville Amélie Armstrong, fille de David Morrison Armstrong, conseiller législatif, et de Léocadie Deligny ; de ces mariages naquirent quatre enfants, dont un seul survécut à son père ; décédé le 30 juillet 1916 à Montréal et inhumé le 1er août à Sorel.
Après ses études classiques au séminaire de Saint-Hyacinthe de 1854 à 1859, Michel Mathieu fait son stage de clerc chez le notaire John George Crebassa, à Sorel, et devient membre de la Chambre des notaires de Richelieu en 1864. Tout en exerçant comme notaire jusqu’en 1868, il est admis au barreau en 1865, puis est nommé shérif du district de Richelieu en 1866.
Attiré par la vie politique, Mathieu se présente comme candidat conservateur dans la circonscription de Richelieu aux élections fédérales de 1872 ; il défait alors Georges-Isidore Barthe*. Deux ans plus tard, il est battu à son tour. Les activités politiques amènent Mathieu à s’intéresser à la presse ; il est l’éditeur et le propriétaire de l’hebdomadaire conservateur le Courrier de Richelieu, qui paraît à Sorel de 1872 à 1874. Après sa défaite aux élections fédérales, il revient rapidement à la vie publique, puisque, dès 1875, il est élu sans opposition député provincial de la circonscription de Richelieu. Réélu par la suite, il démissionne en 1881 pour accéder à la magistrature. Durant ses années de vie parlementaire, Mathieu prend une part active aux débats. Il est d’ailleurs vraisemblable que, n’eût été de son accession au banc, il aurait connu une brillante carrière politique. En plus de ses fonctions de député, Mathieu est maire de Sorel de 1876 à 1882.
Nommé juge à la Cour supérieure le 3 octobre 1881, Mathieu est nommé au district Judiciaire de Joliette ; deux ans plus tard, il est affecté à celui de Montréal, où il siège durant plus de 25 ans. Sa longue expérience à titre de juge de première instance l’amène à présider, à Beauharnois, en 1895, le procès de Valentine Shortis*, accusé de deux meurtres commis dans une manufacture de Salaberry-de-Valleyfield. L’affaire, qui met en présence un prévenu issu d’une famille irlandaise fortunée, des avocats de grand calibre et de nombreux témoins experts, est largement couverte par la presse de l’ensemble du pays.
Tout en assumant ses fonctions de juge, Mathieu est nommé, en 1886, professeur de droit civil à l’université Laval à Montréal. Lorsque Louis-Amable Jetté accède au poste de lieutenant-gouverneur, en 1898, il lui succède à titre de doyen de la faculté et demeure en fonction jusqu’en 1915. Durant ses nombreuses années d’enseignement, il jouit semble-t-il de la sympathie des étudiants, qui reconnaissent en lui un professeur attachant.
Mathieu joue un rôle de premier plan dans le développement de l’édition juridique durant la seconde moitié du xixe siècle. À Sorel, en 1869, avec l’avocat Adolphe Germain, il a fondé la Revue légale, périodique voué à l’édition d’articles de doctrine et de décisions des tribunaux. Dans un article qu’il signe lui-même cette année-là, Mathieu critique le projet du premier ministre sir John Alexander Macdonald* d’instituer un tribunal canadien dont la compétence s’étendrait à l’ensemble du pays [V. Sir Samuel Henry Strong*]. Au nom de l’intégrité du droit civil, il s’oppose à la création de cette cour suprême dont une majorité de juges issus des provinces de common law aurait le pouvoir de se prononcer sur des affaires relevant du droit civil. Mathieu conserve la mainmise sur l’ensemble de la production du périodique durant une douzaine d’années. Puis, Amédée Périard, libraire et éditeur de Montréal spécialisé en droit, s’en porte acquéreur, laissant à Mathieu le poste de rédacteur. La revue, qui avait rapidement renoncé à son volet doctrinal, connaît une transformation importante en 1886. Mathieu, s’inspirant des revues juridiques françaises, accompagne certains arrêts de longs commentaires, sous forme de copieuses notes en bas de page. Le juge s’efforce ainsi de situer la décision publiée dans le corpus jurisprudentiel. Les nombreux renvois à des arrêts et à des écrits doctrinaux donnent aux notes un caractère érudit. À en croire le témoignage de l’avocat Jean-Joseph Beauchamp*, la revue aurait alors atteint une importance jusque-là inégalée par les autres recueils d’arrêts. Mathieu agit également à titre de collaborateur de la Collection de décisions du Bas-Canada/Lower Canada Jurist et des Rapports judiciaires officiels de Québec, publiés à Montréal.
La pièce maîtresse de la production éditoriale de Mathieu demeure son vaste répertoire de jurisprudence intitulé Rapports judiciaires révisés de la province de Québec [...]. Il s’agit d’une entreprise d’édition rétrospective des jugements des tribunaux de la province de Québec. Publiée de 1891 à 1905 à Montréal, la série comprend 29 tomes qui rassemblent les arrêts publiés avant 1892 dans les différentes collections éditées jusque-là. Mathieu élague tout de même de cette masse d’arrêts ceux qu’il estime inutiles, puis regroupe les arrêts de diverses instances relatifs à une même affaire. Il s’efforce, en outre, d’actualiser l’ancienne jurisprudence en précisant, dans des annotations, les liens avec la législation en vigueur à la fin du xixe siècle. C’est là véritablement un travail de consolidation. La collection offre un double avantage : elle libère le praticien du coûteux achat des anciens recueils d’arrêts et elle lui évite la tâche de reconstituer la filiation des jugements. Mathieu présente sa série comme un complément aux recueils de jurisprudence édités par le barreau à partir de 1892. Ce n’est pas le fait du hasard, si les deux projets sont concomitants. L’un et l’autre visent une réorganisation de la diffusion de la jurisprudence qui doit permettre de simplifier l’accessibilité au corpus jurisprudentiel tant pour le futur que pour le passé.
En plus de ces travaux de longue haleine, Mathieu publie plusieurs ouvrages de référence. Le plus remarquable est probablement son édition annotée du Traité des substitutions fidéicommissaires [...] du juriste français Claude-François Thévenot d’Essaule de Savigny, qui paraît à Montréal en 1888. La substitution est alors un mode de transmission du patrimoine qu’on utilise fréquemment au Québec. Les juristes de la province ne peuvent cependant s’appuyer sur la doctrine française, comme ils le font couramment, car l’institution n’a plus donné lieu à des commentaires élaborés à la suite des mesures restrictives qui en ont limité considérablement le recours au moment de la Révolution et par la suite. L’ouvrage de Mathieu cherche à combler cette carence documentaire. De plus, à l’instar de certains de ses collègues, il prépare des éditions des codes de la province de Québec, qu’il s’agisse du Code civil (édition de 1898 et de 1909), du Code de procédure civile (1893 et 1910) ou du Code municipal (1886 et 1894). En outre, il fait paraître à Montréal une Table alphabétique des causes de la province de Québec [...], ouvrage de référence en deux tomes qui permet aux praticiens du droit de repérer rapidement les décisions rendues par les tribunaux de la province.
Mathieu ne peut mener à terme tous ses projets. Ainsi, l’édition de l’ouvrage classique de François Dareau sur l’injure verbale ne voit pas le jour, malgré l’engagement pris envers l’éditeur Amédée Périard. Par ailleurs, un accident dont il est victime en 1913 l’empêche de terminer une encyclopédie juridique dont il a commencé la rédaction.
Les mérites de Mathieu sont reconnus à plusieurs reprises. Le gouvernement provincial le nomme président de la commission royale d’enquête constituée en 1892 pour examiner les abus du gouvernement d’Honoré Mercier*. La maladie l’empêche toutefois de mener à terme la tâche qui lui est confiée. En 1910, il est membre de la commission chargée de la révision du Code municipal. Lorsqu’il prend sa retraite en tant que juge de la Cour supérieure, en 1909, Mathieu devient un conseiller juridique recherché. Durant sa carrière, il reçoit des distinctions. Le gouverneur général le fait conseiller de la reine en 1880, puis l’année même où il devient professeur de droit, l’université Laval lui décerne un doctorat honorifique.
Michel Mathieu figure au nombre des juristes marquants de son époque. Non seulement il a exercé des fonctions importantes dans la communauté juridique montréalaise, en tant que juge et professeur de droit, mais il a aussi joué un rôle remarquable dans la création d’une littérature juridique québécoise. Fondateur d’un périodique, auteur de plusieurs ouvrages, il s’est distingué surtout comme arrêtiste. Ses nombreux travaux ont assuré la diffusion de la jurisprudence et contribué sans doute à accroître la stabilité du droit au lendemain de la codification des lois civiles au Bas-Canada.
Sylvio Normand
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