Biographie Tache Etienne-Pascal



Biographie Tache Etienne-Pascal

TACHÉ, sir ÉTIENNE-PASCHAL, médecin, homme politique et adjudant général adjoint de la milice, né à Saint-Thomas (Montmagny, Québec) le 5 septembre 1795, fils de Charles Taché et de Geneviève Michon, décédé dans sa ville natale le 30 juillet 1865.

      Étienne-Paschal Taché appartenait à une des familles riches de la Nouvelle-France que la guerre de Sept Ans et particulièrement le siège de Québec avaient complètement ruinées mais qui, demeurées au pays, constituèrent le noyau de la bourgeoisie canadienne-française qui se développa au début du xixe siècle. Son grand-père Jean Taché*, commerçant de Paris, s’était établi à Québec en 1730. Il y était devenu un des principaux négociants de la colonie et le principal armateur du port de Québec. Son mariage à Marie-Anne Jolliet de Mingan, petite-fille de Louis Jolliet*, avait largement contribué à sa prospérité. Après la Conquête, ayant acquis les bonnes grâces du général James Murray*, il avait reçu une commission de notaire lui donnant le droit d’exercer dans toute la province. Deux de ses dix enfants firent souche au Canada, devenant coseigneurs de Mingan. Étienne-Paschal appartient à la branche aînée qui fut de loin la plus importante mais aussi la plus pauvre. Tandis que le cadet, Paschal-Jacques, améliorait sa situation en épousant la seigneuresse de Kamouraska, dont il n’eut qu’un fils, l’aîné, Charles, marié à Geneviève Michon et établi à Saint-Thomas (Montmagny), élevait une famille de dix enfants avec les faibles revenus que lui donnait l’affermage du poste de Chicoutimi. On comprend que Philippe-Joseph Aubert* de Gaspé, témoin de la situation différente des deux familles, considère Étienne-Paschal comme un self made man et que Pierre-Joseph-Olivier Chauveau* écrive de lui, tout en brossant son portrait moral : « Sir Étienne n’avait reçu qu’une instruction incomplète dans son jeune âge ; il a dû son avancement à ses talents naturels, aux études qu’il sut faire de lui-même, à son énergie et à l’heureuse combinaison des qualités qui formaient son caractère actif et courageux, mais en même temps prudent et persévérant. »

      Delà une entrée dans la vie assez précoce pour Étienne-Paschal. Quand éclate la guerre de 1812, l’adolescent abandonne ses études au séminaire de Québec et entre comme enseigne dans le 5e bataillon des milices incorporées. Il devient lieutenant dans le corps des Chasseurs canadiens et prend part à plusieurs engagements, dont ceux de Plattsburgh et de Châteauguay. Ce service militaire marque le début d’une carrière qui comporte deux volets bien distincts : de 1812 à 1841, Taché se consacre surtout à la médecine ; et de 1841 à 1865, il prend une part active à la vie politique du Canada-Uni.

      Au cours de la guerre de 1812, Taché commence dans les camps militaires, pendant ses moments de repos, des études médicales, qu’il continue après la guerre sous la direction de Pierre Fabre*, dit Laterrière, médecin de Québec. La pratique de la médecine, de la chirurgie et de l’art obstétrique au Bas-Canada est alors soumise à la législation rigoureuse de 1788. Elle est dominée par l’autorité du gouverneur et fonctionne au ralenti, une formation médicale complète dans une école de médecine ne devant être possible qu’en 1823, avec la fondation de la Montreal Medical Institution. Taché va donc terminer ses études médicales à Philadelphie. Il obtient ensuite sa licence du Bureau médical du Bas-Canada le 18 mars 1819, et s’établit dans sa paroisse natale, où il épouse l’année suivante Sophie Baucher, dit Morency, de Beaumont, dont il aura 15 enfants. Il exercera dans Montmagny et les paroisses environnantes pendant 22 ans, sans interruption. En desservant un vaste territoire sur la rive sud, il acquiert le prestige social qui glisse du seigneur au professionnel depuis les débuts du parlementarisme canadien. Il est dès lors appelé à prendre une part active aux événements de l’heure.

      En 1831, il fait partie de la Société médicale de Québec qui obtient le droit d’élire les membres des deux bureaux d’examinateurs de Québec et de Montréal, marquant ainsi la fin du monopole des Anglais, par la Montreal Medical Institution, sur l’admission à la pratique de la médecine dans le Bas-Canada. Taché fait partie du bureau de Québec qui est élu le 11 juillet 1831 et qui, pour la première fois, comprend une forte majorité de Canadiens français.

      Au moment de la rébellion, Taché ne peut rester à l’écart du mouvement subversif qui fait écho, dans la région de Montmagny, aux luttes révolutionnaires des districts de Montréal et de Québec. Devenu l’âme du mouvement nationaliste de sa région, il assiste en 1836 à la convention de Trois-Rivières où se manifeste l’impatience des Patriotes ; il organise la grande assemblée du 29 juin 1837 à Montmagny, où Louis-Joseph Papineau* lui-même, accompagné de Louis-Hippolyte La Fontaine, de Jean-Joseph Girouard* et d’Augustin-Norbert Morin, « vient réchauffer le zèle de ses partisans » ; il donne refuge à Morin qui, compromis et poursuivi, fuit Québec après avoir vainement essayé d’y refaire, contre Elzéar Bédard*, les forces révolutionnaires de Papineau. Informées des agissements de Taché, les autorités anglaises le suspectent et émettent contre lui un mandat de perquisition, en janvier 1839, avec ordre de l’arrêter si l’on trouve le moindre fait à sa charge. Quand s’effectue la descente, Taché est absent, et la maison est vide d’armes. L’opération infructueuse ne mène donc à aucune arrestation. En fait, sans être partisan de la rébellion armée, Taché ne repousse pas ce type de résistance comme une « épouvantable catastrophe », et les rebelles ne sont, à ses yeux, que « quelques centaines d’hommes [...] poussés au désespoir par des administrations flétries et condamnées par les premiers hommes d’Angleterre ». Taché est donc un patriote qui, avec l’Union, se transforme en homme du compromis, suivant en cela Morin, La Fontaine et George-Étienne Cartier*. Il croit alors à une alliance avec les réformistes haut-canadiens et à la possibilité de tirer avantage de l’union des Canadas. À cette fin, il s’engage dans la vie publique.

      Taché ouvre officiellement sa carrière politique active aux premières élections tenues sous l’Union. Il semble que sa candidature signifie une volonté arrêtée de faire carrière au parlement puisqu’il renonce alors à la pratique de la médecine. Le 8 avril 1841, il est élu député du comté de L’Islet à la nouvelle chambre d’Assemblée, et son mandat est reconduit à l’automne de 1844. Pendant cette première tranche de vie parlementaire (1841–1846), Taché partage les politiques comme les principes des réformistes : sous Sydenham [Thomson*], il désavoue le régime même de l’Union, dénonce le despotisme du gouverneur et les intrigues multipliées des tories ; sous sir Charles Bagot*, il soutient La Fontaine qui, appelé au pouvoir avec Robert Baldwin*, entreprend d’obtenir le redressement des griefs communs aux deux Canadas ou particuliers au Bas-Canada ; sous sir Charles Theophilus Metcalfe*, il reste ferme partisan du gouvernement responsable quand le nouveau gouverneur, s’attribuant le droit d’exercer la prérogative royale sans l’avis des ministres responsables, provoque la démission du ministère La Fontaine-Baldwin, le retour au gouvernement absolu, puis la formation d’un gouvernement qui n’a pas la confiance de la majorité canadienne-française réformiste.

      Pendant cette période de luttes constitutionnelles et politiques décisives, Taché reste un homme politique de second plan. Il parle peu à la chambre, n’ayant pas le don de l’éloquence. Ses quelques interventions dénoncent surtout la politique du gouvernement qui néglige, au profit du Haut-Canada, les intérêts du Bas-Canada et, plus particulièrement, ceux des régions de Québec et de Gaspé. À propos de l’un de ces discours, sir Thomas Chapais* affirme que Taché se fait « vigoureux et fortement documenté », ce qui « établit la réputation du député de Montmagny ».

      Mais c’est le discours prononcé le 24 avril 1846, à l’occasion de la nouvelle loi de la milice, qui a le plus de retentissement. Alors même que les relations sont tendues entre l’Angleterre et les États-Unis au sujet de la frontière de l’Oregon, Taché – maintenant colonel – réclame l’organisation de la milice bas-canadienne, à peu près inexistante depuis les troubles de 1837–1838. Voulant mettre fin à un débat qui, au lieu d’étudier le contenu du bill, ne fait que s’attaquer à la loyauté de ses compatriotes, l’orateur y décrit les Canadiens français en termes forts : « Notre loyauté à nous n’est pas une loyauté de spéculation, de louis, chelins et deniers : nous ne l’avons pas constamment sur les lèvres, nous n’en faisons pas un trafic. Nous sommes dans nos habitudes, par nos lois, par notre religion, [...] monarchistes et conservateurs. » Il rappelle à l’appui de son affirmation la participation des Canadiens français aux guerres de 1775 et de 1812, puis fait cette prophétie qui restera attachée à son nom : « Le dernier coup de canon tiré pour le maintien de la puissance anglaise en Amérique le sera par un bras canadien. » Détachés de l’ensemble, les extraits les mieux connus ont donné lieu à des doutes sur l’attachement de Taché pour les siens. Ce discours est pourtant une excellente expression du nationalisme canadien-français du temps, qui combat la domination des Britanniques d’Amérique mais sans remettre en cause le lien colonial. Au lendemain de ce discours, le 1er juillet 1846, Taché est nommé adjudant général adjoint de la milice pour le Bas-Canada par le ministère de William Henry Draper* et de Denis-Benjamin Papineau* qu’il combat pourtant avec énergie. Conformément à la loi de la milice qu’il s’est préoccupé de rendre acceptable à ses compatriotes et qui vient d’être votée en chambre, il est chargé de la réorganisation des forces armées de la province. Taché doit alors abandonner son siège au parlement. Il semble qu’il se soit ainsi épargné une défaite aux élections de 1847, sa politique favorable à l’organisation municipale, à l’instruction élémentaire publique et, en conséquence, à la taxation locale, l’ayant rendu impopulaire dans sa circonscription. En témoignent la faible majorité obtenue aux élections précédentes et une lettre à La Fontaine où il fait mention d’une lutte ardue contre les « éteignoirs » et se réjouit que « la partie instruite et honorable du comté » l’ait emporté sur « l’ignorance et la mauvaise foi ».

      En acceptant une nomination d’un ministère tory, Taché suscite encore des doutes sur son nationalisme. Mais son geste ne constitue qu’un des nombreux compromis auxquels les réformistes ont consenti après 1840, la conciliation s’étant avérée la seule politique efficace contre le régime répressif de l’Union. Et gardant ainsi l’appui de ses chefs, Taché est nommé, le 11 mars 1848, membre du Conseil exécutif et commissaire en chef des Travaux publics dans le nouveau ministère La Fontaine-Baldwin. Le 23 mai suivant, il est créé conseiller législatif. C’est au sein du Conseil exécutif que se déroule la deuxième tranche de sa vie politique. Il participe ainsi à la dernière bataille des réformistes en faveur de la responsabilité ministérielle. La tradition veut même que ce soit lui qui ait tué William Mason, un des assaillants de la maison de La Fontaine, au cours de l’émeute qui suivit l’adoption de la loi indemnisant ceux qui avaient subi des pertes durant la rébellion. Il est vrai qu’il écrit à sa femme : « J’ai fortifié et approvisionné la maison de La Fontaine de manière à soutenir un siège ; si les loyaux se présentent, ils mangeront quelque chose d’indigeste », mais l’enquête qui suit l’incident n’arrive pas à prouver sa responsabilité.

      Au lendemain de l’agitation pendant laquelle les espérances des tories ont été consumées en même temps que les édifices du parlement, selon l’expression imagée mais juste de Bartholomew Conrad Augustus Gugy*, s’ouvre une ère de profonds changements politiques, économiques et sociaux. C’est alors que Taché devient une figure historique de premier plan. Jusqu’en 1857, il participe à tous les gouvernements, occupant successivement les fonctions de commissaire des Travaux publics jusqu’au 26 novembre 1849, de receveur général du 27 novembre 1849 au 23 mai 1856, de président du Conseil législatif du 19 avril 1856 au 25 novembre 1857, de commissaire des Terres de la couronne du 16 juin au 25 novembre 1857, tout en étant premier ministre de la section bas-canadienne du 27 janvier 1855 au 25 novembre 1857. Auprès de La Fontaine, puis de Morin, il mène la lutte contre l’aile radicale « rouge » qui affiche, sous le drapeau de Papineau, des principes ultra-démocratiques, incline vers l’annexion aux États-Unis et ruine de l’intérieur le parti réformiste. En l’année 1854, qui marque un temps fort de l’histoire des partis politiques canadiens, il est un des principaux artisans de la coalition entre Allan Napier MacNab et Morin. Cette coalition est réalisée en vue d’un gouvernement viable, contre le radicalisme de George Brown* qui a divisé les libéraux haut-canadiens et causé la défaite des partisans de Francis Hincks*. À propos de cette crise de 1854, Taché écrit à Jean-Charles Chapais* une longue lettre, si dense d’analyse qu’elle ne peut être passée sous silence, bien qu’elle soit déjà connue des historiens. Taché y considère toutes les combinaisons possibles et en mesure les chances de succès. Les tories, s’ils étaient appelés au pouvoir, ne sauraient s’y maintenir, même alliés à Joseph-Édouard Cauchon*. Quant aux réformistes, ils pourraient rechercher des alliés, mais Cauchon, pour sa part, occasionnerait plus de défections qu’il n’amènerait de renforts ; Louis-Victor Sicotte*, sans Cauchon, n’augmenterait que trop peu les forces réformistes et Antoine-Aimé Dorion* est idéologiquement inconciliable. Pour Taché, une seule alliance demeure donc possible, celle des réformistes avec les conservateurs. Aussi appuie-t-il le ministère MacNab-Morin qui donne naissance à un nouveau parti politique dont la direction lui sera bientôt confiée.

      Pour raison de santé, Morin abandonne, en effet, la direction de la section bas-canadienne du cabinet pendant un ajournement de la session de 1854–1855. C’est Taché qui est appelé à le remplacer, et le nouveau ministère MacNab-Taché est formé le 27 janvier 1855. Au cours des deux sessions pendant lesquelles il est en exercice, les mesures les plus importantes qui sont adoptées touchent le système municipal bas-canadien (18 Vict., c. 100), la milice (18 Vict., c. 77), les écoles du Haut-Canada (18 Vict.,.c. 131), l’éligibilité du Conseil législatif (19–20 Vict., c. 140), et la création d’un conseil de l’Instruction publique pour le Bas-Canada (19 Vict., c. 14).

      Au point de vue constitutionnel, la question de la double majorité se pose de façon aiguë au ministère MacNab-Taché. Abandonné en chambre par la majorité haut-canadienne sur un vote de défiance relatif au siège de la capitale, MacNab se montre consentant à continuer de diriger le pays avec l’appui de la majorité des députés pris dans leur ensemble. Au contraire, ses collègues refusent de se maintenir au pouvoir sans l’appui majoritaire des deux sections du pays. En présence d’une telle impasse constitutionnelle, MacNab se trouve contraint de démissionner en mai 1856 et, déjà mal en point, il se retire temporairement de la politique. Pour reconstituer le ministère, le gouverneur sir Edmund Walker Head mande Taché. Il suit en cela l’avis de tous les ministres à l’exception de MacNab, et tient compte de l’ancienneté qui, à l’époque, est un critère d’ascension politique.

      Le nouveau premier ministre choisit comme associé John Alexander Macdonald*, qui aspire depuis quelque temps à la direction de la section haut-canadienne et qui n’est pas étranger à l’échec de MacNab. Puis il forme un ministère dont les membres, pour la première fois depuis 1854, conviennent d’entrer dans le gouvernement comme un seul et nouveau parti, et non comme ministère de coalition. C’est donc le ministère Taché-Macdonald qui scelle l’alliance des conservateurs et des libéraux canadiens et qui, le premier, a l’avantage de gouverner avec un parti unifié. Mais la question de la double majorité n’en est pas pour autant réglée ; elle est une épée de Damoclès pour le gouvernement Taché-Macdonald, comme elle le sera pour tous les ministères subséquents jusqu’à la Confédération. Le bilan de la session de 1857 est néanmoins positif avec la refonte du Code civil du Bas-Canada (20 Vict., c. 43), la décentralisation judiciaire (20 Vict., c. 44) et l’aide octroyée au Grand Tronc (20 Vict., c. 11).

      Même si son gouvernement sort de la session plus fort qu’il n’y est entré, Taché profite de la dissolution des chambres, qu’il a lui-même recommandée au gouverneur, pour démissionner le 25 novembre 1857. D’après sa correspondance intime, il était décidé dès le mois de mars précédent à laisser le gouvernement du pays et la politique active. En fait, il ne s’agit que d’une demi-retraite puisqu’il est conseiller législatif à vie. Mais fatigué, il aspire au repos et au calme de la vie privée depuis trois ans déjà, comme le révèlent ces mots à La Fontaine : « La vie publique, par le temps qui court, quelle que soit la position de l’infortuné mortel qui s’y est engagé, est absolument intenable. [...] Quant à moi mon dégoût est tel que je prie Dieu, avec toute la ferveur dont je suis capable, pour que nous soyons battus à l’ouverture des chambres. » Aussi refuse-t-il, en juin 1858, la charge d’adjudant général que lui offre le gouverneur. Par ailleurs, il accepte, en 1860, la présidence du conseil de l’Instruction publique et la charge d’aide de camp du prince de Galles pendant son séjour au Canada, deux fonctions qui le laissent à l’écart des responsabilités ministérielles.

      Mais un groupe d’amis politiques réclament bientôt son aide. En 1864, le Canada passe de nouveau par une crise politique. Le gouvernement libéral de John Sandfield Macdonald* et de Dorion, aux prises avec les mêmes difficultés que les gouvernements conservateurs qui l’ont précédé, menace sans cesse de s’écrouler, faute de majorité suffisante. Sandfield Macdonald entame alors des pourparlers en vue d’une coalition. Il pressent Cartier, qui décline, puis Taché, qui refuse à son tour, n’étant pas disposé à renoncer à sa retraite pour aider des adversaires. Le chef du cabinet se voit donc contraint de démissionner le 29 mars 1864. Le gouverneur Monck* mande alors Cartier qui décline en faveur de Taché contre qui, prétend-il, ne jouent pas les préjugés du Haut-Canada. Taché est donc invité à constituer un ministère basé sur l’entente des partis. Il se trouve, selon sa propre expression, « lancé malgré lui dans un guêpier », consentant « à donner un coup de main aux amis » qui sont « bien faibles ». Après avoir échoué auprès des libéraux haut-canadiens, Taché forme avec John Alexander Macdonald un ministère entièrement conservateur, qui se donne un beau programme ministériel mais qui ne survit qu’un mois : Alexander Tilloch Galt* est l’objet d’une motion de censure et il entraîne dans sa chute celle du gouvernement. La défaite du troisième parlement depuis deux ans prouve de façon évidente que tout ministère homogène est voué à l’impuissance parlementaire. La coalition s’avère de nouveau nécessaire. Ainsi l’avaient déjà pensé Sandfield Macdonald, Monck et Taché, et ainsi l’admettent maintenant John A. Macdonald, Cartier, Galt et même l’impétueux et fanatique George Brown. C’est ce dernier, en effet, qui était le plus irréductible ; s’il se convertit à l’idée d’une coalition, c’est que les deux conditions qu’il posait sont réalisées. Taché, qui est voulu comme premier ministre, n’est chef d’aucun des trois partis formant l’éventuelle coalition ; il est resté à l’écart des luttes politiques violentes des dernières années et il jouit du prestige de conseiller législatif. De plus, tous les partis politiques, à l’exception des « rouges » du Bas-Canada, acceptent d’étudier le principe d’une union fédérative des provinces britanniques.

      Le 22 juin 1864, Taché forme donc le ministère de coalition dont naîtra la Confédération canadienne. Une fois qu’il a ainsi redonné vie à l’administration du pays, Taché se pense moins nécessaire au gouvernement de coalition. L’avenir prouvera pourtant, lorsque viendra le temps de lui trouver un successeur, qu’il était le premier ministre de l’heure. En effet, la coalition n’arrivera à se maintenir que sous la direction de Narcisse-Fortunat Belleau* qui offre beaucoup de ressemblance avec Taché.

      Quoi qu’il en soit, si Taché reste au ministère, c’est qu’il se reconnaît une mission : conscient, d’une part, du mal sournois que pourrait renfermer la Confédération et, d’autre part, de l’influence qu’il a sur ses collègues, il s’impose de veiller sur l’orientation du projet à l’avantage du Bas-Canada. Il écrit avec une vanité que justifient d’ailleurs les pressions dont il a été l’objet en mars précédent : « Je désire prendre ma part de responsabilité au plan que nous avons en vue pour l’union des provinces. Ce plan est-il possible sans sacrifier le Bas-Canada ? C’est ce qu’il faut voir ; pour moi c’est une grande affaire et tenant la clef de la boutique, je pourrai toujours la fermer si je m’aperçois que l’on ne peut rien faire de bon. » Ainsi, Taché s’attribue presque en exclusivité la paternité de la Confédération. En sa qualité de premier ministre, il préside, en effet, l’importante conférence de Québec ; il se charge ensuite de défendre au Conseil législatif les 72 résolutions qui déterminent les lignes fondamentales et secondaires de la Confédération, Macdonald jouant le même rôle à l’Assemblée.

      Mais déjà, au cours de la session, soit le 16 février 1865, Taché subit une légère attaque de paralysie qui annonce sa mort prochaine. Il meurt le 30 juillet suivant, à l’âge de 69 ans. Après des funérailles d’État, il est inhumé à Montmagny le 2 août. Cette mort prématurée de Taché explique que trop souvent on oublie de lier son nom à la Confédération canadienne, lui refusant cet honneur au profit de ceux qui ont participé à toutes les étapes du projet et qui en ont vu la pleine réalisation. Pourtant, nous n’hésitons pas à affirmer que Taché a été, autant que Brown mais de manière moins bruyante, « l’homme qui, en 1864, a rendu possible le projet de confédération ».

      Pour évaluer justement toute la carrière de Taché, il faut renverser ses normes habituelles d’appréciation, il faut comprendre que la force qui anime l’action conciliatrice peut être aussi grande que celle qui sous-tend la création ou la résistance. Taché fut un conciliateur, connu comme « un homme modéré et sûr ». Ayant pris part à tous les événements politiques sous l’Union, depuis les premières élections de 1841 jusqu’à l’adoption des Résolutions de Québec en juin 1865, il doit être qualifié de grand homme d’État, d’autant plus qu’il ne s’est pas laissé submerger par la politique. Peut-être y est-il venu par goût d’abord. Mais, sa correspondance intime en fait foi, c’est par devoir patriotique qu’il s’y est maintenu et qu’il a accepté d’y revenir.

Andrée Désilets


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Source: Dictionnaire biographique du Canada en ligne




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