LABELLE, JEAN-BAPTISTE, musicien, compositeur, professeur et marchand, né en septembre 1825 à Burlington, Vermont, et baptisé le 13 novembre 1825 à Montréal, fils de Jean-Baptiste Labelle, charron, et de Marie Alain ; le 9 juillet 1849, il épousa à Chambly, Bas-Canada, Sophie Porlier, chanteuse, puis le 23 octobre 1860 à Québec Marie-Eugénie-Henriette Morin ; quatre fils et cinq filles lui survécurent ; décédé le 9 septembre 1898 à Montréal.
Jean-Baptiste Labelle fut formé par des maîtres illustres : Joseph Bossu, dit Lyonnais, de Québec, Leopold von Meyer, pianiste autrichien qui effectua des tournées en Amérique du Nord entre 1845 et 1847, et Sigismund Thalberg, virtuose allemand ou autrichien qui lui donna des leçons de piano à Boston entre décembre 1856 et janvier 1857. Il réalisa peut-être également, entre décembre 1856 et juin 1857, le projet d’étudier en Europe. Les enseignements de Meyer et de Thalberg influencèrent sa carrière de pianiste et de compositeur. Labelle fut probablement le premier virtuose canadien à se faire entendre hors de son pays, dans une tournée de concerts, en octobre 1857, qui le conduisit dans différentes villes des États-Unis et d’Amérique du Sud. Par ailleurs, quelques programmes de concerts, à partir de 1856, comprennent une fantaisie pour piano qu’il composa et qui consistait vraisemblablement en arrangement d’airs d’opéras de Bellini et Donizetti, entre autres, dans laquelle le pianiste tente de créer des émotions généralement associées à l’art des chanteurs au théâtre.
Le goût de Labelle pour la musique dramatique se révèle encore dans les programmes de concerts au cours desquels il fut pianiste accompagnateur de son épouse Sophie Porlier et d’autres chanteurs, en particulier entre 1856 et 1860, mais aussi dans la composition d’au moins trois cantates : laConfédération, la Conversion d’un pêcheur [...] et la Croisade canadienne.Labelle s’imposa également au concert. En 1863, par exemple, il dirigea la Société philharmonique canadienne de Montréal, ensemble de 29 musiciens professionnels et amateurs, qui retint l’attention du moment par sa taille et sa formation toutes classiques. À un niveau plus modeste mais non moins important pour l’époque, il participa à nombre de manifestations musicales à caractère patriotique et à des concerts de charité.
Dans le domaine de la musique religieuse, Labelle occupa également une place importante, à titre d’organiste de l’église de Boucherville, dès l’âge de 15 ans, puis de celle de Chambly, de 1846 à 1849, et enfin de l’église Notre-Dame à Montréal, de septembre 1849 jusqu’en 1891. On ignore tout cependant de sa formation comme musicien d’église, si ce n’est qu’il fut un disciple de Vincent Novello, compositeur et éditeur anglais d’origine italienne, dont il contribua à répandre la musique religieuse au Canada et qu’il avoua avoir pris pour modèle dans ses propres compositions. Le Répertoire de l’organiste, que Labelle publia en 1851 et qui connut au moins dix éditions, ne présente donc guère d’originalité sous ce rapport. Mais l’intention de rendre uniforme l’accompagnement des messes, proses, hymnes, psaumes et motets demeure une entreprise louable et probablement en avance sur son temps. Le deuxième recueil de Labelle, les Échos de Notre-Dame, connut une fortune contraire. La première livraison de six « mottets [...] pour les saluts du Saint-Sacrement », qu’il offrit au public en 1887 avec la promesse d’une suite en cas de réception favorable, fut aussi la dernière.
Labelle n’a pas échappé à la pratique courante, au xixe siècle, qui faisait d’un musicien professionnel un professeur de musique recherché. Il enseigna à divers moments de sa carrière au petit séminaire de Montréal, au collège Sainte-Marie, à l’école normale Jacques-Cartier, aux pensionnats Villa-Maria et du Mont-Sainte-Marie, au couvent de Sainte-Anne, à Lachine, et, vers la fin de sa vie, au collège du Mont-Saint-Louis. Une notice nécrologique le présente comme « un professeur profondément dévoué ».
Malgré le nombre et l’importance des fonctions que Labelle exerça, ses revenus furent probablement insuffisants pour faire vivre sa nombreuse famille et lui permettre de se consacrer à la composition d’œuvres autres qu’utilitaires ou de commande. Voilà pourquoi, sans doute, Labelle s’engagea dans le commerce des pianos en 1855, puis fonda, en 1865, la société Labelle et Rodier, logée au 247 Notre-Dame et spécialisée dans le commerce des pianos et des partitions ; l’entreprise semble avoir disparu vers 1867.
La carrière de Jean-Baptiste Labelle reflète assez bien les exigences de la profession de musicien dans la deuxième moitié du xixe siècle à Montréal, où compétence, polyvalence et service allaient de pair. Doté d’un talent que lui reconnurent d’emblée près de 30 musiciens professionnels et amateurs les plus en vue de Montréal en 1857, Labelle a apparemment été tenu en haute estime comme interprète, professeur, conseiller en matière d’orgue et de piano, et compositeur, durant plus de trois décennies. La relative abondance de sa production musicale atteste d’une maîtrise de l’art musical, mais elle reste circonscrite dans des cadres et des formes peu propices à son exploitation : la musique religieuse n’ouvre pas d’horizons nouveaux à l’univers de la musique liturgique catholique dont les lignes restent floues en ce xixe siècle. Sa musique profane reflète certes son patriotisme ardent comme celui de nombreux intellectuels de l’époque, mais elle n’en demeure pas moins de circonstance dans ses sujets et conventionnelle dans son style. C’est peut-être dans ses fonctions pédagogiques que Labelle sut le mieux, avec les Charles-Gustave Smith, Paul Letondal, Moïse Saucier, Romain-Octave Pelletier*, GuillaumeCouture* et autres, apporter une contribution plus remarquable, en participant activement à un mouvement général au Canada en faveur d’un enseignement musical supérieur pour lequel ses dons et sa formation le qualifiaient pleinement.
Lucien Poirier
Jean-Baptiste Labelle est l’auteur d’une soixantaine de compositions. Voici la liste de ses œuvres et ouvrages les mieux connus d’après l’ordre chronologique de composition ou de première publication : « Marche canadienne pour cornet et piano », Album littéraire et musical de la Rev. canadienne (Montréal), 1846 : 28 ; Répertoire de l’organiste, ou Recueil de chant-grégorien à l’usage des églises du Canada (Montréal, [1851]) ; « [Musique pour] Souhaits du Nouvel An » dont Joseph Lenoir*, dit Rolland, a écrit les paroles, le Moniteur canadien (Montréal), 3 janv. 1852 ; Avant tout je suis Canadien, dansle Chansonnier des collèges mis en musique (3e éd., Québec, 1860), 7–9 ; O Canada, mon pays, mes amours, chant patriotique écrit par sir George-Étienne Cartier* qui fait partie de la cantate la Confédération et qui connut de nombreuses éditions dont la première serait antérieure à 1868 ; [Musique pour] la Confédération, paroles d’Auguste Achintre*(s.l., [1868]) ; [Musique pour] la Conversion d’un pêcheur ; opérette canadienne, paroles d’Elzéar Labelle (Montréal, s.d.) ; « [Musique pour] Chant des zouaves canadiens, 1870 »,paroles d’Alphonse Bellemare, l’Album musical (Montréal), déc. 1881 ; « [Musique pour]Ma fiancée », romance écrite par Elzéar Labelle et publiée dans son livre Mes rimes(Québec, 1876), 95–96 ; « [Musique pour] Chanson du Jour de l’An », paroles de Benjamin Sulte*, Album de la Minerve (Montréal), 1 (1872) : 31–32 ; musique de deux chants patriotiques pour la fête du 24 juin 1874 : la Saint-Jean Baptiste, sur des paroles d’Elzéar Labelle et O Canada, vois sur ces rives, d’Eustache Prud’homme, publiés dans laRev. canadienne, 11 (1874) : 455–457 ; « Rien n’est si beau que mon couvent », le Canada musical (Montréal), 1er avril 1878 ; la Croisade canadienne (s.l., [1886]) ; [Musique pour] le Retour du zouave !, paroles d’Alphonse Bellemare (s.l.n.d.) ; les Échos de Notre-Dame (Montréal, [1887]) ; « Quadrille national canadien extrait des chants canadiens les plus populaires », le Passe-Temps (Montréal), 17 juin 1916 : 230–234. On attribue aussi à Labelle la compilation de les Chansons les plus populaires. Le portrait de Labelle a été reproduit entre autres dans le Passe-Temps, 17 juin 1916.
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