SUZOR, LOUIS-TIMOTHÉE, militaire et auteur, né à Cap-Santé, Bas-Canada, le 24 août 1834, fils d’Hippolyte Suzor, marchand, et d’Anne-Marie-Angélique Defoy ; le 1er juin 1858 il épousa à Québec Sophie Évanturel, sœur de François Évanturel*, avocat et homme politique ; décédé à Québec le 18 août 1866.
Le grand-père de Louis-Timothée Suzor, François-Timothée, chirurgien dans l’armée du marquis de La Fayette, vint aux États-Unis lors de la guerre d’Indépendance américaine. Nous ignorons toutefois quand la famille Suzor s’établit au pays. Après avoir étudié pendant trois ans au séminaire de Québec (1844–1847), Louis-Timothée Suzor travailla chez différents marchands, qui tous s’accordaient à reconnaître son aptitude pour le commerce et le calcul. En 1852, la soif de l’or le gagnant, il partit pour l’Australie, d’où il revint trois ans plus tard, après avoir fait fortune.
De 1855 à 1860, Suzor travailla pour une maison de commerce de Québec tout en servant comme simple soldat, à partir de 1856, dans la milice volontaire nouvellement organisée. Il manifesta très tôt un intérêt particulier pour la carrière des armes ; il s’entraîna et suivit des cours au manège militaire de la rue Saint-Louis. Comme aucun manuel d’instruction militaire n’existait en français, Suzor, qui était parfait bilingue, entreprit, en 1857, d’en traduire un de l’anglais.
Le 3 mai 1860, sur la recommandation de l’adjudant général adjoint de la milice du Bas-Canada, Melchior-Alphonse de Salaberry, dont il était le protégé, Suzor fut promu capitaine et reçut le commandement d’une compagnie de miliciens volontaires qui devait former le noyau des Voltigeurs de Québec. Jamais une nomination politique ne devait se révéler aussi importante pour la milice en général et les militaires canadiens-français en particulier. En effet, Suzor se consacra à plein temps aux affaires militaires, donnant gratuitement son temps et son argent à la milice canadienne. Grâce à son dynamisme, à sa compétence et à la fièvre occasionnée par la guerre civile américaine, qui amena même les patrons d’entreprises à sacrifier une heure de travail pour permettre à leurs employés de s’exercer, les corps francophones de Québec passèrent de 2 à 16. Comme les instructeurs étaient des réguliers britanniques qui ne parlaient pas français, Suzor exerça, en plus de sa compagnie de volontaires, les étudiants de l’université Laval, ceux de l’école normale Laval et du séminaire de Québec, de même que les cadets de l’école militaire de la Citadelle. Il paya pour l’habillement, l’armement et l’entretien des volontaires canadiens-français moins fortunés de la basse ville, alors que le gouvernement pourvoyait aux besoins des compagnies de volontaires de classe supérieure composées uniquement d’anglophones. Suzor participa en outre au financement du monument aux Braves de 1760 élevé par la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec et dévoilé le 19 octobre 1863.
La carrière de Suzor connut en conséquence une ascension rapide, mais, à chaque promotion, des gens influents intervenaient en sa faveur. Le 28 mars 1862, il fut nommé adjudant du 9e bataillon des Voltigeurs de Québec nouvellement créé et commandé par Charles-René-Léonidas d’Irumberry* de Salaberry. Le 21 novembre de la même année, il devint major de brigade du district militaire no 7 pour l’est du Québec. Promu lieutenant-colonel le 7 octobre 1864, il fut attaché à l’école militaire de Québec à titre d’instructeur puis de commandant de l’école, en 1865, par suite des pressions de la population qui s’élevait contre la discrimination dont étaient victimes les militaires francophones. Enfin, le 15 novembre 1865, Suzor devint l’assistant de l’adjudant général adjoint Salaberry. Sir Étienne-Paschal Taché ne pouvait mieux le caractériser en le disant « plein d’intelligence, de zèle et de capacité ».
Tout en exerçant les compagnies volontaires de 1862 à 1865, Suzor ne publia pas moins de neuf ouvrages militaires. Sauf son Traité d’art et d’histoire militaires [...], les volumes que Suzor publia à ses frais sont plutôt des traductions et des adaptations des manuels militaires alors en usage. Ils représentent cependant une somme de travail considérable, car ils totalisent environ 3 000 pages de texte. Publiés dans un but didactique et pour être utiles aux volontaires francophones, quelques-uns de ces ouvrages sont restés en usage au Québec durant des générations, faute de manuels plus récents disponibles en français. Quant au Traité, c’est le seul livre que Suzor ait vraiment composé, quoiqu’il n’y exprime rien de personnel ni d’original. Il s’agit plutôt de la synthèse des différentes théories des écrivains militaires célèbres de l’époque. Certains de ces auteurs sont complètement oubliés de nos jours, mais d’autres comme Végèce, Machiavel, Étienne Bardin, François-Apollini Guibert, Karl von Clausewitz, Antoine-Henri Jomini et Auguste-Frédéric-Louis Viesse de Marmont doivent être lus lorsqu’on veut retracer l’art de la guerre au cours des siècles. À l’exemple des autres volumes, le Traité est écrit dans un but didactique. Après des considérations sur l’organisation d’une armée, l’auteur passe à la tactique puis à la stratégie. Ce livre reste important parce qu’il est l’un des rares traités militaires que le Canada ait produits au xixe siècle.
Atteint de cancer, Louis-Timothée Suzor apprit à 31 ans sa mort prochaine alors qu’il traduisait l’important ouvrage du colonel Patrick Leonard MacDougall*, Modern warfare as influenced by modern artillery, publié à Londres en 1864 ; il devait cependant mourir sans avoir terminé son travail. On fit placer sur sa tombe un superbe monument funéraire en marbre, œuvre du statuaire Paul Ceredo, de Montréal.
Fort conscient de la sous-représentation des Canadiens français dans l’organisation militaire du pays, le colonel Suzor travailla sans relâche à intéresser ses compatriotes à la milice canadienne. Il fut avant tout un pédagogue militaire, passionné par les expériences d’enseignement à l’étranger et l’éducation en général. D’ailleurs ses dix manuels illustrent cette volonté d’instruire et cette préoccupation de former de bons citoyens. Selon ses contemporains, Louis-Timothée Suzor fut un homme d’un caractère ardent, au cœur généreux, mais surtout un travailleur infatigable.
Jean-Yves Gravel
Louis-Timothée Suzor est l’auteur d’un Traité d’art et d’histoire militaires suivi d’un traité de fortifications de campagne (Québec, 1865) ; il a aussi traduit, compilé ou encore adapté les ouvrages suivants : Aide-mémoire d’un carabinier volontaire, comprenant une compilation des termes de commandement usités dans l’armée anglaise, avec quelques notes explicatives – aussi : – Le manuel du sergent et la manière de se perfectionner dans l’art du tir, précédés d’un historique des armes (Québec, 1862) ; Boîte de théorie militaire avec tableaux (Québec, 1864) ; Code militaire (Québec, 1864) ; Exercices et évolutions d’infanterie tels que révisés par ordre de Sa Majesté, 1862 (Québec, 1863) ; Guide théorique et pratique des manœuvres de l’infanterie, précédé d’un historique de l’origine, de la composition et de l’administration, etc., etc., de l’armée anglaise telle qu’elle est constituée de nos jours, enrichi d’un grand nombre de planches et accompagné d’une boîte de théorie avec laquelle on petit exécuter toutes les évolutions d’une compagnie et d’un bataillon (Québec, 1865) ; Maximes, conseils et instructions sur l’art de la guerre (Québec, 1865) ; Tableau synoptique des évolutions d’un bataillon, accompagné de planches (Québec, 1862) ; Tableau synoptique des mouvements d’une compagnie (Québec, 1863). [j.-y. g.]
ANQ-Q, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Québec, 1er juin 1858, 18 août 1866.— APC, RG 9, I, Cl, 132–206.— Archives paroissiales, Sainte-Famille-du-Cap-Santé (Cap-Santé, Québec), Registres des baptêmes, mariages et sépultures, 24 août 1834.— Le Canadien, 27 mai 1867.— Le Courrier du Canada, 20 août 1866.— J.-Y. Gravel, Les Voltigeurs de Québec dans la milice canadienne (1862–1898) (thèse de d. ès {{l}}., université Laval, 1971).— Les disparus, BRH, XXXIII (1927) : 372s.