Biographie Drapeau Stanislas
DRAPEAU, STANISLAS (baptisé Jean-Baptiste-Stanislas), imprimeur,
éditeur, rédacteur, fonctionnaire et auteur, né le 28 juillet 1821 à
Québec, cils de Jean-Baptiste Drapeau, de Charlesbourg, et de
Marie-Angèle Bourbeau, de Beauport ; décédé le 21 février 1893 à
Pointe-Gatineau (Gatineau, Québec) et inhumé le 24 dans le cimetière de
l’endroit.
Du vivant de Stanislas Drapeau, son ami Charles Thibault* publie, le 25 mars 1891 à Ottawa, Biographie de Stanislas Drapeau, auteur des Études sur les développements de la colonisation du Bas-Canada et promoteur des sociétés de secours pour venir en aide aux colons défricheurs. Œuvre
politicienne de circonstance, elle occulte par son sous-titre le
principal mérite de Drapeau, celui d’être un « homme à journaux ».
Drapeau fréquente d’abord simultanément les écoles privées d’Antoine Légaré*
et de Charles Dion à Saint-Roch, puis il reçoit l’enseignement mutuel
de la Société de l’école britannique et canadienne du district de
Québec. Il entre ensuite au petit séminaire de Québec à l’âge de 14 ans
avant d’opter en 1837 pour la typographie. Apprenti typographe au Fantasque de Napoléon Aubin*, il est déjà correcteur d’épreuves de confiance au moment de l’emprisonnement de ce dernier et d’Adolphe Jacquies* le 2 janvier 1839, une semaine après l’incarcération d’Étienne Parent* et de Jean-Baptiste Fréchette du Canadien. En
leur absence, le jeune Drapeau assure le fonctionnement de leurs
ateliers, la publication régulière et la distribution trihebdomadaire,
même le service de porteur.
Chef d’atelier de composition ou prote de 1838 à 1843 au Canadien, Drapeau acquiert en janvier 1844, de James Huston*, les presses du journal l’Artisan dont la publication est suspendue depuis six mois. Le journal reparaît aussitôt et Drapeau imprime un premier ouvrage, Manuel ou Règlement de la société de tempérance dédié à la jeunesse canadienne de Charles Chiniquy. Protégé de Louis Panet et de René-Édouard Caron*, il lance en juin 1844, avec l’aide de Marc-Aurèle Plamondon, une revue littéraire et musicale, le Ménestrel, où l’on
retrouve des partitions musicales reproduites par le procédé de la
lithographie. En même temps, il est l’associé de Plamondon dans
l’entreprise du quotidien Courier and Quebec Shipping Gazette, tiré à 2 000 exemplaires et distribué gratuitement à six heures du matin. Retitrée le Courrier commercial/Commercial Courier en
janvier 1845, cette publication est victime des grands incendies des
quartiers Saint-Roch et Saint-Jean, les 28 mai et 28 juin de la même
année.
Drapeau part alors pour Montréal où il devient imprimeur et chef d’atelier de la Revue canadienne et de la Revue de législation et de jurisprudence, toutes
deux propriétés de Louis-Octave Le Tourneux. Le 5 août 1846, il épouse à
Québec Caroline Drolet, et le couple réside à Montréal jusqu’à la mort
du père de Drapeau en juillet 1847. De retour à Québec, il imprime pour
les libraires Joseph et Octave* Crémazie un Tableau de la messe avec gravures et le Petit Catéchisme du diocèse de Québec, à 5 000 exemplaires chacun, sur les presses de Joseph-Édouard Cauchon* et d’Augustin Côté* du Journal de Québec.
Lorsque la « Librairie ecclésiastique
et classique » des Crémazie décide de se doter d’un journal, c’est
Drapeau qui met sur pied le 18 décembre 1847 l’Ami de la religion et de la patrie. Ce
périodique, qui innove en publiant les dépêches télégraphiques, dure
jusqu’au 13 mars 1850 puis est relancé le 28 sous le titre de l’Ordre social ; il disparaît toutefois en fin d’année à cause de la négligence des souscripteurs.
De 1851 à 1857, Drapeau est chef d’atelier au Journal de Québec, mais c’est de l’atelier de la librairie des Crémazie que sort néanmoins son premier ouvrage personnel : Petit
Almanach de Québec pour l’année bissextile de 1852, religieux,
historique, littéraire, agricole et de connaissances utiles. Ce volume, compilé et publié par Drapeau, « Membre de l’Institut Canadien de
Québec », est une mine de renseignements à l’usage des journalistes,
sur les éclipses, les jours maigres ou d’abstinence, les sociétés
religieuses ; il contient aussi de la poésie, des articles, notamment
sur l’éducation, l’agriculture, les romans et l’Exposition universelle
de 1851, une chronique « Science/Astronomie », la liste des caisses
d’épargne, près de 20 tableaux statistiques d’import-export, de
populations, de ventes de spiritueux, de tonnages de vaisseaux et de
revenus douaniers, des statistiques du « Fonds consolidé » de 1796 à
1840, sans compter la liste nominative et le salaire du personnel des
« Bureaux du Gouvernement », le tableau des cours de justice et
finalement la liste du clergé de la ville de Québec. Le travail de
Drapeau a dû servir à son ami Joseph-Charles Taché pour écrire Esquisse sur le Canada considéré sous le point de vue économiste à
l’occasion de l’Exposition universelle de Paris en 1855. La boulimie de
Drapeau pour des connaissances précises et des statistiques fiables lui
fait combattre en note « bien des idées fausses, à l’Approche d’un
Recensement », et souhaiter que « les personnes de la campagne »
s’empressent « de donner tous les renseignements qui seront requis ».
Cet intérêt nouveau pour « les
personnes de la campagne », qui constituent alors près de 80 % de la
population, est à l’origine du Manifeste du
15 août 1856 pour la formation de la Société de colonisation, manifeste
que signent plus de 300 notables et dont Plamondon est l’initiateur. En
1858, Drapeau publie une brochure, Appel aux municipalités du Bas-Canada : la colonisation du Canada envisagée au point de vue national, qui contient un « Plan de colonisation par l’État ».
Consulté à titre d’expert-comptable par
l’archevêché de Québec à propos du projet de l’abbé Narcisse Bellenger
de mettre sur pied un journal nommé le Courrier du Canada, Drapeau
en est le premier administrateur en 1857 et contribue vraisemblablement
à l’entente intervenue en juillet 1858 entre l’archevêché et
l’imprimeur Jean-Docile Brousseau*, qui en devient alors l’éditeur-propriétaire. Son ami Taché est corédacteur en chef avec Hector-Louis Langevin*.
Drapeau quitte le Courrier du Canada pour
occuper un poste auquel l’a recommandé Narcisse-Fortunat Belleau, celui
d’agent de colonisation dans le comté de L’Islet, sur le chemin
Elgin-Taché, avec résidence à Saint-Jean-Port-Joli, de 1859 à 1865.
C’est là qu’il lance l’idée d’une société de secours, qui lui permet en
1860 de distribuer 430 minots de grain et de pommes de terre aux
nouveaux défricheurs. Il réussit ainsi à donner un caractère
communautaire à ce projet social, tout comme Jean-Baptiste-Éric Dorion*
tente de le faire au même moment pour les Bois-Francs, en ces temps
d’instabilité politique chronique et d’impuissance gouvernementale
récurrente.
Drapeau assure jusqu’en 1865 une chronique agricole au Courrier du Canada et publie en 1863 chez Léger Brousseau* Études sur les développements de la colonisation du Bas-Canada depuis dix ans (1851–1861) [...],
un livre de 593 pages ponctuées de tableaux, de cartes et de dépliants.
Il y ajoute, l’année suivante, une « suite » intitulée Coup d’œil sur les ressources productives et la richesse du Canada [...],
une brochure de 36 pages où il reprend son « Plan d’organisation ». On a
vanté sa grille d’analyse systématique et sa méthode de composition de
nature sociogéographique. Une note critique des sources statistiques
officielles, « surtout pour le Bas-Canada », apparaît en fin de
description, et Drapeau estime, par suite de son travail sur le terrain,
que la valeur de la propriété foncière y est sous-estimée « d’au moins
un tiers ».
Enfin, lorsque l’on nomme son ami Taché
sous-ministre du département d’Agriculture et de Statistiques en août
1864, Drapeau accepte de devenir son adjoint ; on le charge de compiler
des statistiques démographiques rétrospectives en vue de la publication
du recensement de 1871. Tandis que Taché entreprend des fouilles
d’archéologie historique au Haut-Canada, Drapeau polémique en
1866 et 1867 avec les abbés historiens Charles-Honoré Laverdière* et Henri-Raymond Casgrain* à l’occasion des fouilles reliées à l’emplacement du tombeau de Samuel de Champlain*
et il leur fait baisser pavillon. Par ailleurs, lui, qui a dirigé de
1849 à 1859 le chœur de l’archiconfrérie de Québec à l’église
Saint-Jean-Baptiste, fait de même pour la chorale de la basilique
d’Ottawa. Sa vie de fonctionnaire fédéral semble être paisible et
laborieuse, puisqu’en outre il entreprend de rédiger et de publier,
« par livraison de 150 pages tous les 4 mois », sa fameuse Histoire des institutions de charité, de bienfaisance et d’éducation du Canada depuis leur fondation jusqu’à nos jours, au « tirage limité à 2 000 copies seulement » et qui ne s’« adres[se] qu’aux souscripteurs ».
Ce projet grandiose fait l’objet d’un
prospectus en 1872 et, par la suite, est mentionné pour la première fois
dans une lettre du 4 décembre 1874, dans laquelle Drapeau prie Léger
Brousseau d’intervenir auprès de son beau-frère le ministre Pierre Garneau*
pour que le gouvernement provincial s’engage à faire « l’achat de
quelques centaines de copies ». Drapeau soumet ensuite une première
partie manuscrite à l’approbation de l’évêché d’Ottawa, qui la lui
accorde le 27 mai 1875, puis aux autres évêques canadiens. Fort de ces
appuis, il lance son œuvre. Le premier tome, Hôpitaux et Lazarets, qui paraît le 1er juillet 1877,
contient les 148 pages promises, mais se veut un livre d’art,
d’impression polychrome, dédicacé au gouverneur général du Canada, lord
Dufferin [Blackwood*] ;
c’est un délire de virtuosités graphiques, typographiques et
chromolithographiques d’une exubérance baroque ou romantique à la
Gustave Doré. Cependant, Drapeau ne peut poursuivre la réalisation de
son rêve : le livre se vend mal et les quatre autres volumes annoncés –
Hospices ou Ailes ; Orphelinats ; Éducation ; Société Saint-Vincent de
Paul, Sociétés de secours mutuels, Calamités ou Désastres – ne
paraîtront jamais.
En même temps, Drapeau lance le 1er avril 1876 à Ottawa un magazine familial, le Foyer domestique, qu’il
imprime d’abord à 6 000 exemplaires, puis à 5 000 en 1877 et à 3 250 en
1878. Le bilan des recettes mensuelles fait voir d’amples variations :
149 $ seulement en mai 1876, mais une explosion de 861 $ en décembre ;
520 $ en janvier 1877 et 686 $ en avril alors qu’octobre n’apporte que
182 $ et que l’année 1878 est d’une grande faiblesse, sauf janvier,
juillet et septembre ; par contre, le premier trimestre de 1879 connaît
une reprise, mais il est trop tard. Drapeau reconnaît le
12 décembre 1879 que « la confiance n’est plus la même » chez les
abonnés du Foyer domestique, qui « n’osent point payer aussi facilement et d’avance ». De plus, l’échec de la publication de son dernier ouvrage, Histoire des institutions, s’est répercuté sur le magazine qui a dû combler le déficit d’impression. La belle aventure du Foyer domestique a
duré trois années complètes sous la direction personnelle de Drapeau et
lui a permis de se vanter d’avoir réuni 63 collaborateurs, dont
Pierre-Joseph-Olivier Chauveau*, Narcisse-Henri-Édouard Faucher de Saint-Maurice, Louis-Honoré Fréchette*, Alfred Garneau, Napoléon Legendre*, Pamphile Le May*, James MacPherson Le Moine*, le docteur Jean-Baptiste Meilleur*, Benjamin Sulte*, l’abbé Cyprien Tanguay* et l’historien Louis-Philippe Turcotte*.
Devant ces difficultés, Drapeau propose
à Léger Brousseau, qui peut seul « commander l’influence qui n’existe
plus », de devenir son « associé » à titre de propriétaire-éditeur du
magazine, alors que lui-même resterait « directeur » et lui expédierait
d’Ottawa la copie pour composition, impression et distribution postale à
Québec. Brousseau refuse la « société », mais semble accepter
d’imprimer et d’assurer la distribution, puisqu’une série de lettres que
lui envoie Drapeau en 1882 et 1883 retentissent de plaintes et de
réclamations au sujet de délais et de retards de parution, ce qui, selon
Drapeau, « brise » sa collection, sans compter les problèmes de
distribution postale ou à domicile par porteur.
Le Foyer domestique ainsi réorganisé, et baptisé l’Album des familles, dure
de janvier 1880 à juillet 1884 ; la liste de ses agents couvre les
campagnes de 20 comtés du Québec et inclut les noms et adresses de 20
agents aux États-Unis, les trois quarts en Nouvelle-Angleterre et le
quart au Middle West. Le prix de l’abonnement est passé de un à deux
dollars, et le nouveau magazine familial sollicite des annonces pour sa
couverture. Drapeau estime ses lecteurs à « plus de 50 000 [...] durant
l’année ». Il a deux agents à Rimouski, à Kamouraska, dans Terrebonne et
Sainte-Rose (Laval), trois dans Lévis, mais un seul à Chicoutimi.
Le retour à la prospérité ne signifie
pas le repos pour Drapeau, qui se propose le 15 novembre 1882
« d’apporter plus d’intérêt pour l’Album de
1883, en reproduisant des Romans et des Études plus au goût de la
masse ». Il avoue le 10 janvier 1883 travailler « nuit et jour depuis
trois semaines, pour le gouvernement ». Il écrit en même temps une
brochure de 39 pages, Biographie de sir N. F. Belleau, premier lieutenant-gouverneur de la province de Québec [...],
qui paraît en 1883 chez Léger Brousseau. L’optimisme de Drapeau est tel
qu’il se propose d’acheter l’imprimerie-librairie de Brousseau au faîte
de sa productivité : il offre même 100 000 $ dans sa lettre du
30 mars 1883. Quatre ans plus tard, il rédige Canada : le guide du colon français, belge, suisse, etc. [...], livre destiné à favoriser l’immigration francophone au Canada. Malgré l’échec de l’Album des familles, il lance un nouveau magazine familial, « accessible à toutes les bourses par son bon marché », la Lyre d’or, le 1er janvier 1888 ;
publiée jusqu’en juin 1889 avec une brochette de collaborateurs,
réduite cette fois à 40, la revue fait un déficit de 600 $, comblé en
1890.
Depuis 1883, Drapeau caressait un autre
projet, celui d’un « journal politique de premier ordre, qui serait
indépendant », et qu’on appellerait l’Union nationale ; le prospectus avait paru
en 1885 et Drapeau avait vainement tenté d’obtenir l’appui de
Joseph-Adolphe Chapleau. Le projet est repris à l’automne de 1889 puis
proposé au premier ministre Honoré Mercier le 18 novembre, dans un
« Mémoire privé », préparé à la suite d’une rencontre particulière à
Montréal entre les deux correspondants. Le National serait un « journal hebdomadaire [...] pour répondre aux attaques de la nouvelle revue politique : Le Drapeau dont la mission [...] est d’anéantir, s’il le peut, l’influence du parti national ». Le Drapeau, paru
en septembre 1889 dans l’entourage des Clercs de Saint-Viateur du
collège Bourget, à Rigaud, influents dans la campagne montréalaise, est
la cible qu’il faut viser. « Bien déterminé à servir le parti par toutes
les voies possibles », Drapeau offre notamment à Mercier de mettre son
matériel d’imprimerie à sa disposition et même ses droits d’auteur, en
capital de lancement. Il exige en contrepartie une entière discrétion de
sorte que « la bombe ne devra éclater qu’à l’heure marquée », celle de
son ralliement au parti national.
Le 9 décembre 1889, Mercier accuse réception d’un projet de « lettre ouverte » intitulée « Un Projet National » et destinée à recueillir des fonds ; le 8 janvier 1890, une lettre de Drapeau accompagne le numéro zéro du Drapeau national, qui porte le sous-titre de « Journal des Patriotes », suivi de la devise Pour le soutien des idées favorables au Peuple, et
en surtitre-bandeau « Religion/Patrie/Famille ». La matrice, construite
et mise en page par Drapeau, comporte une note manuscrite en
apostille : « Au lieu du drapeau étoilé porté par un American, ça sera
le Drapeau Canadien porté par un Patriote à la tuque canadienne », gravure qui est déjà imprimée en filigrane.
La maquette de ce numéro zéro est en
partie manuscrite, le reste étant des insertions collées de textes déjà
imprimés en 1885. Aux Il rubriques prévues (feuilleton, précis
historique, annonces, entre autres) s’ajoute une « Tribune du Peuple ».
Le titre initial, le National, n’étant plus utilisable depuis le 14 décembre 1889, puisque Gonzalve Desaulniers* de Montréal vient de l’accaparer, Drapeau a opté pour le Drapeau national, mais il suggérera, le 20 février, deux autres titres, l’Ami du peuple et l’Écho des campagnes, tout en s’en remettant « à la décision de Mercier ».
Dans sa lettre, Drapeau insiste encore sur la discrétion nécessaire pour que « cela fasse comme un coup de trompette
à l’heure marquée », afin de « frapper mieux et plus activement quand
l’heure sonnera ». Il propose d’emprunter en son nom personnel ou de
garantir les actions à émettre en hypothéquant son matériel et même sa
presse à vapeur.
Cependant, Mercier, en prétextant la
« besogne » de la session parlementaire en cours, ne fait répondre à
Drapeau que le 25 février 1890. À cause de ce délai, la date du 2 mars
inscrite sur le numéro zéro est reportée au 1er mai. Drapeau
refait un mémorandum le 16 avril ; puis écrit une nouvelle lettre le 28,
mais Mercier répond le 30 qu’il ne lui est « pas possible de
[s’]occuper immédiatement de cette affaire [...] Aussitôt que je serai
prêt, ajoute-t-il, je vous le manderai. » C’est une fin de non-recevoir,
à la veille de la campagne électorale qui sera un triomphe pour
Mercier.
Drapeau conçoit en sa verte vieillesse d’éditer son Drapeau national à
Deschaillons, où il se propose de se retirer auprès de son beau-frère,
le curé Pierre-Olivier Drolet. Son biographe Charles Thibault fait état
de cette rumeur de retraite campagnarde, mais lui assigne pour but la
rédaction du deuxième tome de Histoire des institutions laissé
en plan. Drapeau meurt à Pointe-Gatineau sans avoir révélé à son ami
son secret, ensuite bien gardé pendant plus de trois quarts de siècle.
Urbain, doué d’une intelligence vive et
d’une grande curiosité, peu marqué par l’enseignement classique,
Drapeau vivait encore à 70 ans sa folle passion d’adolescent de 15 ans
pour la typographie et la lithographie, pour le chant choral, pour la
précision statistique qui l’avait amené sur le terrain à prendre contact
à l’âge de 38 ans avec « les personnes de la campagne ». D’esprit
pragmatique, sinon positiviste, il transformait les « projet[s] » en
« plan[s] d’organisation » et révélait ses talents d’animateur social à
distribuer des lots et à rassembler les minots de grain comme à accorder
les voix de chorale et les partitions musicales, à aligner les
collaborateurs et les agents de ses magazines familiaux, ou à charpenter
ses tableaux statistiques et à calibrer ses illustrations polychromes
avec ses textes à la « typographie soignée ».
Homme à journaux, organisateur
d’espaces à occuper pour une littérature nationale naissante, Drapeau
était un « intellectuel organique » et témoignait par sa cohérence de la
qualité de l’enseignement des écoles avant le système public et de
l’apprentissage avant les écoles de métier.
Du Ménestrel de 1844 et de l’Ami de la religion et de la patrie de 1847 à la Lyre d’or de 1888 et au projet de l’Ami du peuple, la
trajectoire de Stanislas Drapeau est cohérente dans ce beau métier
urbain de typographe qui, alignant ses caractères avec soin pour que
vivent la pensée et la voix de chez nous, est comparable au laboureur
campagnard qui aligne avec soin ses sillons dans des lots défrichés
prêts à recevoir des minots de grain pour que vive la terre de chez
nous.
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