Biographie Aubin Napoleon
AUBIN, NAPOLÉON (baptisé Aimé-Nicolas),
journaliste, éditeur, homme de théâtre et de science, né à
Chêne-Bougeries, commune de la banlieue de Genève (Suisse), le
9 novembre 1812, fils de Pierre-Louis-Charles Aubin, potier, et
d’Élisabeth Escuyer, décédé à Montréal le 12 juin 1890.
On sait peu de chose de l’enfance de
Napoléon Aubin. On peut présumer qu’au cours de son adolescence passée à
Genève, son milieu, son tempérament, peut-être aussi ses lectures l’ont
orienté vers les idéologies progressistes de son temps et lui ont donné
le goût des sciences naturelles. Il quitte l’école vers l’âge de 16 ans
et part pour l’Amérique au mois d’août 1829. On se perd en conjectures
sur les mobiles de son départ. Quoi qu’il en soit, les débats
politico-religieux de son milieu d’origine et l’attrait de l’Amérique,
« terre de succès et de liberté », ont sans doute influencé sa décision.
De 1829 à 1835, Aubin séjourne aux États-Unis. Déçu par la vie à
l’américaine, il tourne les yeux vers le Canada. Il adresse alors à la Minerve
de Montréal des articles dans lesquels il se déclare favorable au parti
patriote. À son arrivée au Canada, Aubin passe quelques mois à
Montréal. À la fin d’octobre 1835, il s’installe à Québec et se consacre
au journalisme. En plus de collaborer à l’Ami du peuple, de l’ordre et des lois (Montréal) et, de 1847 à 1849, au Canadien (Québec), Aubin fonde à Québec plusieurs périodiques dont l’existence éphémère ne l’a pas rebuté : le Télégraphe (22 mars–3 juin 1837), le Fantasque, paru à intervalles irréguliers du 1er août 1837 au 24 février 1849, le Standard (novembre 1842), le Castor (7 novembre 1843–22 juin 1845), le Canadien indépendant (21 mai–31 octobre 1849) et la Sentinelle du peuple
(26 mars–12 juillet 1850). Il publie également, en 1842, le premier
journal au Canada consacré à la défense des intérêts de la classe
ouvrière, le People’s Magazine and Workingman’s Guardian, à Québec. Après un second séjour aux États-Unis de 1853 à 1863, il revient dans sa ville d’adoption et collabore à la Tribune
en 1863 et 1864 mais, au cours de cette dernière année, il se retire à
Longueuil, Bas-Canada. En 1865, il lance un nouveau journal, les Veillées du père Bonsens (Montréal) (1865–1866 et 1873). Il s’établit finalement à Montréal en 1866. Rédacteur du Pays (Montréal) en 1868–1869, sa dernière contribution à la presse date de 1876 ; il collabore alors au National
(Montréal) dont il a été le rédacteur en chef de 1872 à 1874.
Journaliste par goût, Aubin gagne sa vie grâce à ses connaissances
scientifiques et techniques. Le technicien finit par éclipser
l’idéologue : en 1875, il est nommé inspecteur du gaz pour la ville de
Montréal et il parcourt le Canada à titre de conseiller en éclairage des
villes.
La postérité a surtout retenu d’Aubin
sa vie publique en tant que journaliste, poète, conteur, éditeur et
homme de théâtre. L’œuvre imprimée du journaliste est impressionnante.
Sympathique à la cause nationale, Aubin n’est pas toujours tendre pour
le chef du parti patriote. Il voit en Louis-Joseph Papineau* un tyran, un lâche qui entraîne le pays sur une pente dangereuse. Il estime comme Étienne Parent*
que les Patriotes vont trop loin. Comme lui, à la veille du
soulèvement, il met la population en garde contre ses chefs politiques.
C’est l’époque du Fantasque à ses débuts. Aubin
puise la matière de sa prose satirique dans le camp des extrémistes,
bureaucrates et patriotes. Dans l’atmosphère troublée de la fin des
années 1830, Aubin réussit à dérider des visages crispés par les
conflits politiques.
Homme d’opposition par excellence, Aubin observe les gestes de lord Durham [Lambton*].
S’il approuve l’amnistie accordée par le lord, il trouve celui-ci un
peu trop friand de rassemblements mondains. Il y a souvent bal au
château du gouverneur. Durham travaille-t-il ? La taquinerie mise à
part, Aubin fournit au chef d’État matière à réflexion. À son intention,
il décrit les Canadiens français avec sympathie. Il ne faut pas les
confondre avec leurs chefs. Selon le journaliste, Durham serait malgré
tout resté sourd à leurs griefs.
Chez Aubin, libéral et démocrate,
l’appréciation des gouverneurs de l’Union dépend de leur rejet ou de
leur acceptation du principe de la responsabilité ministérielle.
L’exécutant du projet d’union, Charles Edward Poulett Thomson*, est censuré à plusieurs reprises par le rédacteur du Fantasque.
Feutrée par l’ironie, la critique du représentant de la couronne est
sévère : « Quand je pense à la façon dont nous sommes menés par un
poulet, cela m’en fait venir la chair de poule. » Dans la logique du
développement préconisé par les marchands de la colonie, la dette du
Haut-Canada devait être partagée par les contribuables des deux
provinces fusionnées. Les nationalistes du Bas-Canada ne l’entendaient
pas ainsi. Aubin se fit leur porte-parole en faisant du gouverneur un
spoliateur de la richesse collective des Canadiens français. Mêlant
l’ironie à la méchanceté, il écrit : « Quand les anciens preux partaient
pour la guerre, ils étaient couverts de leurs écus. Maître Thompson se
met en campagne recouvert des nôtres. » À propos d’une rumeur voulant
que le gouverneur ait rendu l’âme, Aubin écrit : « Assurément voilà qui
est absurde. Il aurait bien assez de mal à rendre tout ce qu’il nous a
pris sans rendre encore ce qu’il n’a jamais eu. » Reçu avec froideur,
sir Charles Bagot*
obtient la faveur de l’humoriste lorsque celui-ci constate que le
nouveau gouverneur est gagné à l’idée du gouvernement responsable. Par
contre, sir Charles Theophilus Metcalfe* est critiqué pour avoir défait l’œuvre de son prédécesseur.
L’ascension politique de Louis-Hippolyte La Fontaine*
ne plaît pas à Aubin. À mesure que l’homme d’État approche du pouvoir,
le journaliste s’attache à réhabiliter Papineau, sa cible préférée
d’avant le soulèvement armé. Aubin trouve intransigeante la position de
La Fontaine lorsqu’en 1842 celui-ci refuse le poste de procureur général
du Bas-Canada si Robert Baldwin*
n’est pas appelé au Conseil exécutif. La Fontaine au pouvoir devient un
intrigant qui aurait voulu se hisser à la tête du parti patriote. Ce
n’est pas qu’Aubin n’approuve rien des gestes politiques accomplis par
le nouveau leader des Canadiens français : en 1843, la démission de
La Fontaine et de Baldwin sous Metcalfe a l’entière approbation du
journaliste, car à ses yeux il fallait faire respecter le principe du
gouvernement responsable contre les prétentions des gouverneurs
autoritaires. Mais une fois appliqué le principe de la responsabilité
ministérielle, en 1848, Aubin soutiendra que le chef réformiste est mû
par l’intérêt.
En définitive, ce sont les « rouges »
qui correspondent le mieux aux idées d’Aubin. De 1847 à 1849, c’est à
titre de rédacteur du Canadien que celui-ci
fait valoir ses idées de réformes en matière économique et sociale. Il
préconise la colonisation comme moyen d’enrayer l’émigration vers la
Nouvelle-Angleterre. Sans condamner ceux qui ont fait la lutte sur le
terrain exclusif de la survivance, Aubin estime que l’épanouissement des
Canadiens français doit passer par leur émancipation économique.
Déplorant l’absence d’entrepreneurs francophones, il prêche l’épargne et
se fait le promoteur de l’industrie textile. Ses théories sociales au
niveau des modes de production rejoignent parfois celles qui ont cours
dans l’Europe de 1848. Il propose la création d’une entreprise financée
par des ouvriers et des entrepreneurs canadiens-français, les uns et les
autres se partageant les bénéfices.
À la fin des années 1840, les idées politiques d’Aubin se confondent avec celles de Papineau et de l’Avenir (Montréal). Le journaliste n’a-t-il pas rédigé le Manifeste adressé au peuple du Canada par le Comité constitutionnel de la réforme et du progrès (Québec, 1847) ? C’est avec l’appui de Papineau qu’Aubin quitte le Canadien pour fonder le Canadien indépendant
en 1849. Dans les colonnes du nouveau journal, le séparatisme et
l’annexionnisme sont à l’honneur. Aux objecteurs qui trouvent curieuse
son association avec les annexionnistes, Aubin répond qu’il faut oublier
le passé pour regrouper toutes les énergies. L’annexion aux États-Unis
ne risquerait-elle pas de provoquer l’assimilation des Canadiens
français ? Aubin ne le croit pas. La législature locale se chargerait de
protéger l’identité nationale. Et quand cela ne serait pas, ne vaut-il
pas mieux priser le progrès politique et social, dût-il entraîner la
disparition de la nationalité ? Dans la Sentinelle du peuple qui remplace le Canadien indépendant,
Aubin continue de se faire le porte-parole des idées politiques de
Papineau. Mais il refuse de cautionner l’opposition de ce dernier à
l’abolition du régime seigneurial. En revanche, sa fidélité à défendre
l’annexionnisme et les principes politiques des rouges sera
indéfectible. Il sera d’ailleurs président de l’Institut canadien de
Montréal en 1869. Comme nombre de libéraux canadiens-français, il
considère la Confédération comme un complot ourdi par les bailleurs de
fonds du Grand Tronc, acoquinés avec des politiciens intrigants et
vénaux. Qu’il n’y ait pas eu de référendum sur la constitution de 1867
représente à ses yeux un accroc important aux principes démocratiques
qu’il a toujours défendus. À ce nationaliste, la mise en minorité des
Canadiens français dans le nouveau pays paraît inquiétante. L’annexion
serait à ses yeux encore préférable à l’arrangement de 1867.
La carrière d’Aubin reflète le climat
de suspicion, de délation et de mépris de la liberté d’opinion qui règne
au cours des premières années du régime de l’Union. Pour avoir publié
un poème de Joseph-Guillaume Barthe*
dédié aux prisonniers politiques déportés aux Bermudes, Aubin écope de
53 jours de prison. La détention ne l’a pas rendu silencieux. Dans son
journal le Fantasque du 8 mai 1839, le rédacteur ironise sur les conditions de la vie au cachot. Entre le 9 juillet et le 1er
octobre, Aubin publie dans le même journal un conte intitulé « Mon
voyage à la lune ». L’affabulation lui sert de couverture pour faire
passer sa critique politico-sociale : « Je n’ose plus rien dire à
présent ; on est si susceptible que l’on trouve des allusions dans tout
[...] Si je ris d’un âne, Mr. Robert Symes [chef adjoint de la police à
Québec, alors connu pour son mépris des Canadiens français] veut
absolument que ce soit son emblême [...] Si je parle des honnêtes gens,
la police s’imagine que je parle d’elle [...] On conçoit qu’avec une
liberté de la presse aussi limitée la seule ressource d’un littérateur
est de [...] s’envoler vers les astres [...] plutôt que de gémir plus
longtemps sur une terre préjugée où pour plaire et vivre il faut ramper
[…] et lécher l’ergot de ceux qui se croient grands parce qu’ils se le
font dire souvent, qui ont le droit dans le fourreau du sabre et le cœur
au fond de leur gousset. »
En 1839, Aubin fonde une troupe d’acteurs qui jouent au théâtre Royal de Québec la Mort de César de Voltaire ainsi que deux courtes œuvres d’Aubin lui-même, le Soldat français et le Chant des ouvriers. Le parti de l’ordre s’inquiète. Pour la Gazette de Québec, la pièce de Voltaire est un manifeste révolutionnaire. Les œuvres d’Aubin sont jugées subversives. Thomas Ainslie Young*,
chef de police de Québec, s’émeut. Il écrit au gouverneur :
« La représentation tout entière revêtait décidément un caractère
politique et visait à soulever les passions des auditeurs contre l’ordre
établi. » À la demande de Young, le conseil municipal interdit toute
représentation après onze heures du soir, ce qui amène la troupe d’Aubin
à cesser son activité pendant un moment. Les quelques pièces d’auteurs
secondaires jouées en 1841 seront anodines.
En 1842, Aubin édite le Rebelle, histoire canadienne,
du baron de Trobriand. Le roman est destiné à perpétuer la mémoire des
Patriotes, indique l’éditeur en préface. Tout comme pour les
représentations théâtrales organisées par Aubin, la police veille : un
vendeur du Rebelle est arrêté à Montréal. À une
époque où le nationalisme libéral de 1837 était mis sous le boisseau
sur l’initiative des détenteurs du pouvoir, un historien comme
François-Xavier Garneau*
ne pouvait pas trouver meilleur allié. Ce n’est certes pas un hasard si
Aubin s’est chargé d’éditer les deux premiers tomes de l’histoire
nationale du grand historien.
La polyvalence est un des traits
caractéristiques d’Aubin. Son goût pour les sciences n’est pas la
moindre curiosité de ce destin original. En plus de donner des cours
populaires et des conférences de vulgarisation scientifique, il est l’un
des premiers professeurs de l’école de médecine de Québec, fondée en
1845, où il est chargé de l’enseignement de la chimie. Il publie deux
ouvrages de vulgarisation : la Chimie agricole mise à la portée de tout le monde [...] (Québec, 1847) ainsi qu’un Cours de chimie
(Québec, 1850). Aubin a laissé son nom à une invention largement
diffusée : il s’agit d’un procédé d’éclairage au gaz mis au point par le
journaliste au cours de son long séjour aux États-Unis, de 1853 à 1863,
et qui fut breveté au Canada, aux États-Unis, en Angleterre et en
France. Utilisée par plusieurs villes en Amérique du Nord, son invention
fait l’objet d’un article, en 1858, dans la revue Scientific American (New York). On y explique le fonctionnement de l’appareil Aubin et signale qu’il est apprécié des usagers.
Aubin constitue un bel exemple d’un
immigrant qui a réussi grâce à son talent ainsi qu’à sa souplesse
vis-à-vis d’un contexte culturel étranger à son milieu d’origine.
Baptisé dans la confession calviniste, il gardera son secret toute sa
vie. Il s’intègre au milieu catholique en épousant à Québec, le
9 novembre 1841, à l’église Saint-Roch, une fille de la bonne
bourgeoisie, Marie-Luce-Émilie Sauvageau, dont le père, Michel-Flavien,
est notaire dans cette ville. C’est un mariage précipité, la future
étant enceinte, de sorte qu’aucune enquête n’a été entreprise pour
vérifier l’appartenance religieuse d’Aubin. Les quatre enfants du couple
sont baptisés dans la religion catholique. Que le pasteur presbytérien
Daniel Coussirat ait prononcé l’oraison funèbre d’Aubin, qu’il ait été
enterré dans un cimetière protestant, voilà qui a dû en surprendre
plusieurs. L’événement confirme sans doute la conviction que
protestantisme et libéralisme étaient deux facettes d’une même hérésie
pour les milieux clérico-nationalistes intransigeants.
La vie canadienne d’Aubin porte quelque
peu atteinte au mythe de la xénophobie des Canadiens français. Homme
d’opposition, on eût pu souvent lui faire reproche de n’être pas
Canadien français. Joseph-Édouard Cauchon s’y
est risqué, mais il n’eut pas la part belle dans la polémique acerbe
qu’engagèrent les deux hommes. La majorité des intellectuels de la
génération d’Aubin admira ses talents sans lui reprocher ses origines.
C’est que celui-ci épousa d’emblée les aspirations nationales de sa
patrie d’adoption. La jeune génération d’intellectuels libéraux des
années 1840 lui doit sans doute une partie de sa vision du destin
collectif. D’un commerce agréable, Aubin fut l’ami de plusieurs
personnalités marquantes de son temps : Ludger Duvernay*, Philippe-Joseph Aubert* de Gaspé, Joseph-Guillaume Barthe, Étienne Parent, James Huston*, Louis-Joseph Papineau, Joseph Doutre,
pour n’en nommer que quelques-uns. À ses funérailles, outre des
personnalités du monde diplomatique – Aubin ayant été depuis 1875 consul
honoraire de Suisse –, la présence d’un nombre impressionnant de
notables témoigne de l’estime qu’il avait su se gagner auprès de ses
compatriotes.
Serge Gagnon
Pour une connaissance plus complète de
l’œuvre de Napoléon Aubin, on consultera avec profit les ouvrages de
Jean-Paul Tremblay, « Aimé-Nicolas dit Napoléon Aubin, sa vie et son
œuvre » (thèse de ph.d., univ. Laval, 1965) ; À la recherche de Napoléon Aubin (Québec, 1969). [s. g.]
Beaulieu et J. Hamelin, Journaux du Québec.— Bernard, Les Rouges.— Monet, Last cannon shot.
Auteurs, Communication, Communication -- Journaux et revues, Gens d'affaires, Scientifiques (sciences pures) Amérique du Nord, Amérique du Nord -- Canada, Amérique du Nord -- Canada -- Québec, Amérique du Nord -- Canada -- Québec -- Montréal/Outaouais, Amérique du Nord -- Canada -- Québec -- Québec © 2000 University of Toronto/Université Laval www.biographi.ca
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