Dictionnaire biographique du Canada
MARIAUCHAU D’ESGLY (Esglis, Desglis, il signait Desgly), LOUIS-PHILIPPE, évêque de Québec, né à Québec le 24 avril 1710, fils de François Mariauchau* d’Esgly et de Louise-Philippe Chartier de Lotbinière, décédé le 4 juin 1788 à Saint-Pierre, île d’Orléans (Québec).
Tant du côté paternel que maternel, Louis-Philippe Mariauchau d’Esgly était issu de familles notables et, à son baptême, il eut comme parrain le gouverneur Philippe de Rigaud* de Vaudreuil. Sur son enfance et ses études, on sait seulement que d’ Esgly entra le 15 octobre 1721 au séminaire de Québec. Le 18 septembre 1734, Mgr Dosquet l’ordonna prêtre et le nomma aussitôt curé de Saint-Pierre, île d’Orléans. À cause de la pénurie de prêtres après la Conquête, d’Esgly dut exercer également son ministère dans la paroisse voisine de Saint-Laurent, presque sans interruption de 1764 à 1774.
Après la Conquête, se posait le problème de la succession épiscopale. L’évêque de Québec, Mgr Briand, souhaitant éviter les difficultés qui avaient entouré sa propre nomination, désirait la désignation d’un coadjuteur au plus tôt. Quoique Étienne Montgolfier semblât être le candidat tout désigné, le gouverneur Guy Carleton*, préférant à ce poste une personne née au pays et pressé par la famille Lotbinière, imposa l’abbé d’Esgly qui avait, « entre autres mérites, celui de ne porter ombrage à personne ». Briand, un peu déçu de ce candidat plus âgé que lui et sourd de surcroît, se résigna tout de même à entériner ce choix qui présentait l’avantage d’être une sanction implicite de la part du gouvernement du principe de succession de l’évêque de Québec. Briand se hâta, dès le 28 juillet 1770, de demander les bulles nécessaires au Saint-Siège. Le gouverneur Carleton, devant repasser en Angleterre, désirait que cette question se réglât le plus rapidement possible et il pressa Briand de consacrer d’Esgly sans attendre l’autorisation de Rome. Les neveux du curé de Saint-Pierre s’en mêlèrent aussi et d’Esgly se moqua de leur empressement : ils veulent, disait-il, « avoir le plaisir de dire Monseigneur mon oncle ». Malgré ces pressions, Briand attendit que les bulles, signées par le pape Clément XIV le 22 janvier 1772, soient reçues à Québec. Le 12 juillet, il consacra son coadjuteur évêque in partibus infidelium de Dorylée. D’Esgly devenait ainsi le premier évêque d’origine canadienne. À cause du différend datant de 1766 entre l’évêque de Québec et les marguilliers de Notre-Dame sur l’usage de l’église paroissiale comme cathédrale [V. Jean-Félix Récher*], la cérémonie eut lieu « secrètement, quoique tout le monde le sût », dans la chapelle du séminaire de Québec, mais la proclamation publique et officielle du choix de d’Esgly fut retardée au mois de mars 1774. Même coadjuteur, d’Esgly tint à demeurer dans sa paroisse de Saint-Pierre où il continua d’assumer ses devoirs de curé, aidé par des vicaires. Comme coadjuteur, il publia un seul mandement, celui du 6 juin 1778, à l’occasion de sa visite pastorale des paroisses de l’île d’Orléans. Il y reprochait aux habitants leurs péchés et les invitait à profiter de sa visite pour revenir dans le droit chemin.
D’Esgly était plus âgé que Briand ; aussi, lorsque la santé de ce dernier déclina, la crainte de voir le principe de succession remis en cause amena l’évêque à démissionner le 29 novembre 1784. Dès le 2 décembre, d’Esgly signa l’acte de prise de possession de son évêché. Le même jour, il nomma ses grands vicaires, confirmant dans leurs fonctions les abbés Henri-François Gravé* de La Rive à Québec, Pierre Garreau, dit Saint-Onge, à Trois-Rivières et Montgolfier à Montréal. À Paris, l’abbé François Sorbier de Villars reçut lui aussi le renouvellement de ses fonctions de grand vicaire. La seule nouveauté fut la nomination d’un grand vicaire à Londres, en la personne d’un prêtre irlandais, l’abbé Thomas Hussey, qui devait représenter l’évêque auprès du gouvernement britannique.
Le 4 décembre, le nouvel évêque publia son premier mandement. Il ne se faisait pas d’illusion : vu son âge et ses infirmités, il savait n’occuper cette place qu’en passant. Il informait ses fidèles qu’ils devaient continuer à s’adresser à Briand pour leurs affaires, et il ajoutait : « Si ses infirmités ne lui permettent pas de s’en occuper, notre Grand Vicaire à Québec les terminera ou nous les renverra. » D’Esgly retourna, le 6 janvier 1785, dans sa paroisse de Saint-Pierre, même si Briand s’était hâté de lui abandonner les appartements réservés à l’évêque en titre au séminaire de Québec.
L’une des premières préoccupations du nouvel évêque fut de se trouver un coadjuteur ; dès le 22 décembre 1784, il annonçait par lettre à l’abbé Jean-François Hubert, alors missionnaire à Détroit, qu’il avait été choisi. Ce n’est qu’en novembre 1786 que Hubert fut sacré évêque, Rome et Londres ayant tardé à approuver cette nomination. L’année suivante, Hubert entreprit, au nom de l’évêque, la première visite pastorale depuis celle que Mgr Briand n’avait pu compléter en 1775, mise à part la visite de l’île d’Orléans faite par d’Esgly.
Évêque de transition, d’Esgly se contenta surtout d’administrer, plutôt que de gouverner le diocèse en adoptant des politiques à long terme. Ainsi il régla quelques conflits locaux quant au choix du site de nouvelles église, à Saint-Gervais, à Baie-du-Febvre (Baieville) et surtout à Yamachiche. Il eut à résoudre quelques problèmes de discipline ecclésiastique, comme le cas du sulpicien Pierre Huet* de La Valinière. Il dut aussi s’occuper du célèbre mal de la baie Saint-Paul et signa une circulaire pour annoncer la visite du docteur James Bowman dans les paroisses. Mais la principale question qui préoccupa d’Esgly, comme son prédécesseur et ses successeurs immédiats, fut le manque de prêtres. L’évêque voulait en faire venir d’Europe pour les missions et pour enseigner dans les collèges et séminaires, libérant ainsi les prêtres canadiens pour le ministère des paroisses. Quoique lui-même ne s’inquiétât pas de savoir si les prêtres étrangers étaient Français, Savoyards ou Irlandais sachant le français, l’opposition du gouvernement anglais aux Français et de Briand aux Savoyards l’obligea à faire appel aux prêtres irlandais et il chargea l’abbé Hussey du recrutement.
D’Esgly porta une attention particulière aux Maritimes, région un peu négligée depuis la Conquête, où la rareté de prêtres se faisait sentir de façon aiguë. En janvier 1785, il confirma la nomination de Joseph-Mathurin Bourg comme grand vicaire de cette région. Plus tard cette année-là, il plaça à Halifax James Jones*, venu d’Irlande, à qui il donna juridiction sur les prêtres que lui envoyait Mgr John Butler, évêque de Cork (République d’Irlande). Le 17 octobre 1787, il adressa aux catholiques des Maritimes une lettre pastorale dans laquelle il les félicitait d’avoir su persévérer dans la foi, même « confondus avec des religionnaires étrangers » et avec moins de secours spirituels que les Canadiens. Il les exhorta à recevoir avec générosité et soumission les missionnaires européens venus leur porter secours.
Durant ses derniers mois comme évêque de Québec, d’Esgly constata que son autorité, exercée de l’île d’Orléans, n’était pas assez respectée, et il chercha à la renforcer. Il reprocha à certains prêtres du séminaire de Québec, dont Thomas-Laurent Bédard et Gravé, leur insubordination, et enleva même à ce dernier ses pouvoirs de vicaire général. Il blâma Hubert, qui avait assez peu d’estime pour les capacités de son supérieur, de ne pas lui rendre compte de sa visite pastorale. Seule l’intervention de Briand, conseillant à Hubert l’obéissance, évita une crise.
Incapable de dire sa messe depuis mars 1788, d’Esgly devait mourir le 4 juin. Les funérailles, présidées par Gravé, eurent lieu deux jours plus tard dans l’église Saint-Pierre, où d’Esgly fut inhumé, comme il le demandait par testament. Près de deux siècles plus tard, le 8 mai 1969, ses restes furent transportés dans la crypte de la basilique Notre-Dame de Québec. Évêque sans l’avoir désiré, Mgr d’Esgly permit, en acceptant ses hautes fonctions, de régler le problème de la succession. Cependant, on peut lui reprocher, comme l’a fait l’historien Marcel Trudel, d’avoir compliqué sérieusement l’administration ecclésiastique en s’entêtant à vivre dans son île jusqu’à sa mort.
Jean-Guy Pelletier
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