(Sainte-Anne-des-Monts) Même si elle ne croyait pas vivre aussi longtemps parce qu'elle avait une santé plutôt fragile, Laurette Poitras de Sainte-Anne-des-Monts, en Haute-Gaspésie, a pourtant un siècle de vie assez singulier à raconter. La religieuse, connue sous le nom de soeur Marie-Ange, a célébré son 100e anniversaire le 5 mars au sein de sa communauté, les Soeurs de Saint-Paul-de-Chartres. Après 48 ans d'expérience missionnaire, elle a réalisé son rêve de jeunesse: celui de faire le tour du monde.
Bien qu'elle soit un peu dure d'oreille, soeur Marie-Ange a l'oeil vif. Alerte et parfaitement lucide, elle fournit avec précision les dates et les noms des gens qui composent ses 100 ans de souvenirs. Sa diction impeccable trahit tout autant sa vaste expérience de professeure de français et de traductrice que ses longs séjours à l'étranger.
La jeune Laurette était la deuxième d'une famille de 10 enfants. Lorsqu'elle a atteint l'âge de 15 ou 16 ans, sa mère lui a dit souhaiter qu'elle devienne religieuse. «Mais moi, je ne voulais rien savoir», s'empresse de dire Laurette Poitras. «Il n'en était pas question! Comme j'aimais la géographie, je lui ai dit que je voulais faire le tour du monde. Ma mère m'a alors demandé où je prendrais l'argent. Je lui ai répondu que je trouverais bien le moyen.»
Le moyen pour parvenir à ses fins a été de devenir... religieuse. À 20 ans, après avoir obtenu son brevet d'enseignante, elle fait son entrée chez les Soeurs de Saint-Paul-de-Chartres à Sainte-Anne-des-Monts. Sa soeur aînée, Annette, avait intégré la communauté sept mois plus tôt. «J'ai dit à ma soeur supérieure que j'entrais en religion pour devenir missionnaire et que je voulais partir tout de suite», relate-t-elle.
Son tour du monde
La première mission de soeur Marie-Ange a été au Japon afin d'aller enseigner le français. Mais ce qu'elle ne savait pas avant de partir, c'était que le pays était en guerre. Après sept ans au pays du Soleil levant, elle est envoyée dans un camp de concentration. «On ne mangeait pas très bien, se souvient-elle. On mangeait de la baleine. C'était gras. Ce n'était pas bon. Mais on n'était pas maltraités.»
Après deux ans de réclusion, elle tombe malade. Une intervention chirurgicale s'impose. Mais il n'est pas question, pour sa communauté, qu'elle soit opérée par un médecin japonais. «C'était l'ennemi», rappelle-t-elle.
Elle embarque donc sur un navire américain qui la ramènera au Canada. Pendant ses trois mois en mer, elle fait des escales aux Philippines, en Chine, au Viêtnam, en Inde, en Afrique, au Chili et à Rio de Janeiro. Pendant ce long périple, sa soeur Annette, elle aussi religieuse, meurt en France à l'âge de 33 ans. Laurette ne l'apprendra qu'à son retour au bercail.
Seize ans après son retour au Québec, la missionnaire repart, mais cette fois-ci pour la France. Un an après, elle retourne au Japon. Ce dernier séjour à Tokyo durera 17 ans, avant que la communauté lui confie le rôle d'interprète à Rome pendant 22 ans, où elle aura à faire la traduction du japonais au français.
Nouvelle passion à 87 ans
Elle prend sa retraite des missions à l'âge de 84 ans en revenant dans sa Gaspésie natale. À 87 ans, elle se découvre un talent : elle commence à créer des oeuvres avec des plumes d'oiseau provenant de Cacao, en Guyane, qu'elle avait conservées pendant plus de 40 ans. Ses tableaux feront très vite l'objet d'expositions. Ensuite, elle fabriquera plus de 500 cartes à partir des mêmes matériaux. Tous les profits sont versés aux enfants pauvres du Viêtnam.
Cet hiver, soeur Marie-Ange a fait une pause. Même si elle déplore une diminution de l'agilité de ses doigts depuis un accident vasculaire cérébral dont elle a été victime il y a deux ans, il n'est pas question de prendre sa retraite d'artisane. «Je veux recommencer quand il fera beau», s'entête-t-elle à dire.
Le 16 juillet, Laurette Poitras célébrera ses 80 ans de vie religieuse.
Source: Johanne Fournier, collaboration spéciale Journal Le Soleil, dimanche 8 avril 2012, Page 22 Nos régions
